mercredi 22 août 2007

Les fiançailles

Allez, vous avez été sages, je vous mets la suite du Guide des Convenances, histoire de décrasser la tuyauterie avec une bonne dose d'adrénaline. Nous avons laissé les deux tourtereaux juste après la séance de maquignonnage entre adultes. Maintenant, le parcours du combattant des fiançailles

La visite du jeune homme, agréé comme fiancé, suit immédiatement celle de l'ami (qui aura présenté la demande); les parents le reçoivent amicalement, il fait déjà partie de la famille et il est d'usage de le prier à dîner pour le soir-même. Il aura eu soin de faire précéder sa visite d'un envoi de fleurs blanches disposées en gerbe, en corbeille, en panier, etc…, il n'y joindra pas sa carte.

La jeune fille ne doit pas assister à la première partie de la visite, les parents le reçoivent d'abord, lui tendent la main, lui disent d'affectueuses paroles. La jeune fille est appelée un peu plus tard; il est de bon ton que sa mise soit un peu recherchée, elle aura à son corsage une fleur du bouquet reçu.

Elle tend la main à son fiancé car dès lors, il a droit à ce titre.

Elle le remercie simplement de son bouquet (que d'effusions, c'en est trop!).

Lorsqu'on habite à la campagne ou un endroit éloigné, on peut offrir des rafraîchissements à celui qui fait la demande en mariage et au jeune homme lors de sa première visite. (Si on habite en ville, il n'a pas droit à l'anis?)

Le jeune homme n'attend pas l'heure du dîner, il se retire et revient le soir à l'heure qu'on lui a fixée. Il est en jaquette ou en veston. La fiancée a une petite chemisette de soie claire.

Le fiancé doit, à partir de ce jour, venir tous les jours voir sa fiancée et lui devra un tribut fleuri. Le premier bouquet de fiançailles doit se composer de fleurs coupées, il peut être blanc, ou rosé (pour les plus zazous?). Les paniers garnis d'oignons, de tulipes, de jacinthes, de pieds de marguerites sont réservés pour les petits envois de la semaine. Les fleurs expédiées pour les dates officielles: fiançailles, dîner de fiançailles, jours de réception, soirée de contrat, jour de mariage, seront des fleurs à longue tige; lilas, roses, tulipes, lis et jasmins réunis en gerbes, en bouquets, en paniers aux anses arrondies, voilés de tulle blanc, noués de satin ou de moire. À ce panier le fiancé pourra faire joindre des fleurs coupées, destinées à orner les pièces dans lesquelles on reçoit, danse, lunche ce jour-là.

Si elle a des sœurs jeunes filles, le fiancé leur envoie un bouquet de temps en temps, mais petit et d'une valeur insignifiante. Il est de bon goût d'en envoyer une ou deux fois à sa future belle-mère, en fleurs de couleurs, bien entendu.

Plusieurs traités de savoir-vivre prétendent que le premier bouquet donné à la promise doit être blanc, puis ensuite, par une progression habile, il doit aller en se fonçant de telle sorte qu'à la veille du mariage, il se trouve entièrement rouge. (Quelle allégorie! Quelle poésie!)

Le dîner des fiançailles: Le jour des fiançailles officielles, le jeune homme envoie à la jeune femme un bouquet composé de roses, de lilas, camélias, dahlias, muguet, tubéreuses, suivant la saison. Ce bouquet sera orné d'un très beau ruban blanc, que plus tard la jeune fille, devenue épouse et mère, retrouvera avec attendrissement dans ses trésors les plus précieux.

Les fiançailles s'annoncent au dessert. Si le dîner a été remplacé par une soirée, elles s'annoncent à minuit.

Bague de fiançailles: C'est aussi ce jour-là que le jeune homme remet la bague de fiançailles. On la prend généralement blanche, composée de perles et de diamants. Les bagues aux pierres de couleur sont réservées pour d'autres circonstances, pour marquer d'une pierre brillante les événements d'une vie de femme: la naissance d'un enfant, les anniversaires de mariage, les noces d'argent ou d'or. Ah! Nous sommes bien loin de là, vous écriez-vous, mes jeunes lectrices de dix-huit ans, tout à la joie de vos fiançailles, à l'espoir radieux de cette vie nouvelle qui s'ouvre devant vous.

Le blanc, la réunion de toutes les couleurs, symbolisera pour vous la réunion de toutes les joies, de tous les bonheurs. Et, pendant que vous demandant la permission de vous baiser la main, votre fiancé passe au quatrième doigt de votre main gauche l'anneau scintillant, pliez-le vivement afin que, la bague s'arrêtant à la dernière phalange, vous soyez assurée, par ce moyen, d'être reine et maîtresse dans votre future maison.

Faire-part des fiançailles: On avait essayé d'introduire, en France ,la mode allemande qui consiste à écrire sur papier enluminé les noms des deux futurs suivis de ces lignes: ont l'honneur de vous faire part de leurs fiançailles. Mais cette mode s'intronise difficilement dans notre pays où, avant le mariage, les jeunes filles ne peuvent guère faire part elles-mêmes d'un événement quelconque.

(…) Les amis intimes sont prévenus par une lettre autographe. Exemple:

"Chère madame et amie,

Je veux vous annoncer un événement de famille qui nous rend très heureux.

Ma fille Hélène (sic) est fiancée à Monsieur Gontran de Gourac, lieutenant au 1er bataillon de chasseurs à pied. Son avenir parait brillant et la haute valeur morale de son caractère nous est une ferme garantie de bonheur pour notre chère fille"

(…) Le jeune homme a désormais le droit de venir voir sa fiancée chaque jour; malgré ses privautés, il sera de bon ton de ne jamais se présenter chez elle avant trois heures de l'après-midi. La mère sera présente à ces visites; elle dirigera les conversations, s'associera aux projets d'avenir et c'est surtout dans ces moments bénis de douce intimité (sic) qu'elle pourra leur verser les trésors de son expérience et de sa tendresse. (En leur passant la chanson de Boris Vian, "Ne vous mariez pas les filles"?)

La mère n'assistera pas constamment à l'entretien des fiancés, elle pourra leur ménager avec tact quelques moments de tête-à-tête: sous prétexte de donner un ordre, de surveiller un détail domestique, elle s'éloignera; laissant la porte entr'ouverte, elle pourra travailler dans la pièce voisine.

Nous ne saurions trop recommander aux fiancés de ne se livrer à aucune familiarité; ils doivent se borner à la démonstration du shake hand et se traiter avec réserve; pas de libertés déplacées, pas d'expressions de tendresse trop vives; toutes ces douceurs charmantes doivent être réservées pour les premiers temps du mariage. Mais de toutes façons il ne convient pas que les fiancés soient trop libres l'un vis-à-vis de l'autre.

Les premiers jours, les fiancés se traiteront de Monsieur et de Mademoiselle, puis ils diront "Monsieur Raoul" et "Mademoiselle Jeanne" (une pensée pour Audiard et Franquin…), ensuite Raoul et Jeanne tout court.

Durée des fiançailles: Que dirons-nous de la durée des fiançailles? Quelques esprits éminents ont tenté, tout récemment, de résoudre cette question difficile. "C'est la vraie lune de miel, disent quelques-uns, prolongez-la autant qu'il est possible", "l'esprit français est léger, ne laissez pas à ces enfants trop d'occasion de se dédire, mariez-les sans délai". Comme indication générale,disons: les fiançailles doivent être assez longues pour que les deux jeunes gens aient eu le temps de s'étudier, mais assez courtes pour que leur affection réciproque ne soit pas lasse.

Autrefois, une jeune fille était presque retranchée du monde pendant la durée des fiançailles, elle ne pouvait se montrer dans aucun lieu de réunion public, les visites de son fiancé étaient ses seules distractions. Les jeunes filles actuelles s'accommoderaient mal d'une telle réclusion, l'usage leur permet de sortir comme à l'ordinaire.

Une fiancée peut aller au concert, au théâtre avec ses parents et son fiancé. Il l'accompagne dans ses courses, pourvu qu'une tierce personne âgée et respectable soit toujours présente. Le jeune homme ne donnera le bras ni à sa fiancée ni à la mère de sa fiancée.

La jeune fille ne va cependant pas au bal, où sa position serait gênante: il serait déplacé de ne danser qu'avec son fiancé, et il n'est pas reçu qu'elle danse souvent avec d'autres. Lorsqu'une jeune fille est invitée comme demoiselle d'honneur, il est correct de lui donner son fiancé comme garçon d'honneur.

Lorsque les fiancés seront invités dans une tierce maison, ils s'y rendront séparément; ils pourront sortir ensemble (d'où l'expression "sortir avec quelqu'un"????); le fiancé reconduira la jeune fille chez elle avec sa famille.

(Dans les occasions de réception dans la famille de l'un ou de l'autre) la tenue des deux fiancés vis-à-vis l'un de l'autre doit être correcte. Il convient que leur affection mutuelle se devine mais qu'elle ne s'étale pas.

Si la jeune fille était orpheline, son tuteur, ses oncles et tantes devraient remplacer les parents; en ce cas les fiançailles doivent être courtes, on les abrège le plus possible. Si la jeune fille n'avait aucune relation, ni protection, elle se retirerait, après la demande faite, dans une maison de retraite, son fiancé venant la voir au parloir. Le mariage a lieu dans la plus grande intimité, si possible dans la chapelle de la maison où la jeune fille s'est retirée.

Je ne commente même pas, je vais chercher un produit contre les remontées de bile. Heureusement qu'il y a une machine à laver toute neuve qui ronronne dans la cuisine! Jour de fête!

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mardi 21 août 2007

Ours encadré

Je continue ma série d'encadrements, cette fois-ci c'est au tour de l'ours et je vous montre quelques étapes.

Tout d'abord, la bestiole finie, à l'état brut, à mi-chemin entre une peluche décapitée et un trophée de chasse (il ne manque plus que les traces de pneus pour faire penser à Franska, comme le suggérait un ami...).



Je commence par réaliser un boîtage avec une partie en creux qui recevra la tête en laine feutrée et les anneaux pour l'accrochage.





J'ai recouvert les bords intérieurs de la boîte interne d'un papier doré avec effet de tissage, avec un rebord qui restera visible sur le replat du carton.
J'ai ensuite découpé une cartonnette à la dimension du grand (presque) carré extérieur (31 x 32,5 cm pour les curieux), avec une partie centrale évidée de telle façon que 0,5 cm de papier doré reste visible.
J'en ai recouvert les bords d'une marge de papier rouge à motifs sombres, j'ai collé le tout sur la boîte et mis sous presse avec la technique bien connue des briques en terre cuite (je n'ai pas encore pris le temps de toutes les recouvrir de papier peint pour éviter qu'elles n'abîment les supports, ça va venir!). Sur la photo on voit un bout de la marge de papier rouge...



Ensuite, je découpe une autre cartonnette de mêmes dimensions extérieures que la boîte, mais en évidant un carré interne encore plus grand, de telle façon qu'une marge de papier rouge de 2 cm de large reste visible. Mon but est d'obtenir un effet de profondeur qui accentue l'impression que la tête d'ours sort du cadre.



Je colle le carré sur la boîte et je rabats sur les côtés (bien sûr il faut à ce stade là faire bien attention à juxtaposer parfaitement ce carré sur les précédents, sinon, bonjour les surprises du genre "oh, tout est fichu, il ne reste plus qu'à recommencer depuis le début!"). Et voilà, une tête d'ours prête à accrocher!



Et la même en situation sur un mur. Les couleurs changent selon l'usage ou pas du flash mais j'ai quand même choisi des papiers à dominante rouge, je voulais quelque chose qui ravigote le brun de la tête.


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dimanche 19 août 2007

Guide des convenances, ça continue...

Ah, je sens que ça vous manque, le Guide des Convenances. Prêts pour une petite pincée?

La première communion: Ce rêve unique, ce bonheur "du plus beau jour de la vie", reste toujours comme une auréole éclatante, un souvenir embaumé, un rayon très doux, illuminant la vie, adoucissant les souvenirs poignants, les amères désillusions. Que de familles ramenées à la stricte voix du devoir par la piété et la transformation de l'enfant! (…)

La toilette de la petite fille doit être simple et de bon goût. Le grand luxe et la grande distinction consistant dans la perfection du travail de lingerie et non dans l'accumulation des dentelles et des entre-deux.

(…) Une coutume très touchante consiste à faire remettre aux enfants pauvres de la première communion, par les enfants plus riches, des paquets d'images sur cartons (et non pas sur ivoirine ou parchemin, comme celles des enfants de bonne condition) qu'ils auront le plaisir de distribuer eux-mêmes. Ils connaîtront eux aussi, les pauvres petits, la joie de donner, bien plus douce que celle de recevoir.

(…) Il faut, en ce jour, éviter à l'enfant tout sujet de distraction ou de faute; ne pas le conduire dans des lieux fréquentés, à la musique, sur les chevaux de bois, au Jardin d'Acclimatation, surtout pas au théâtre!... Mais il y a certaines visites obligatoires dont il ne peut se dispenser soit le jour soit le lendemain. Ce sont les visites à ses grands-parents, à ses oncles et tantes, parrain et marraine, supérieurs de couvent et de pension. Les parents, s'ils sont employés, conduisent les enfants à leur patron, les domestiques à leurs maîtres.

Le jeune homme: Pour être à la mode, prétendent-ils, il faut être "fin de siècle", c'est-à-dire ne croire en rien, se moquer de tous les beaux sentiments, traiter l'amour de la patrie de chauvinisme, le respect de l'autorité paternelle de "vieille balançoire", la religion de chose bonne pour les marmots et les vieilles filles. Maintenant, il semble qu'un retour vers le passé se fasse: les vrais Français comprennent qu'ils ont eu tort de se laisser guider par ce rastaquouérisme à outrance, cet élément très étrange, ramassis d'aventuriers inavouables le plus souvent, qui portent des diamants faux, des cravates éclatantes et se surchargent les doigts de larges bagues. (…)

Quelle que soit l'intimité qui existe entre deux familles, un jeune homme n'aborde jamais, dans le monde, une jeune femme ou une jeune fille, en lui donnant son prénom, malgré une habitude d'enfance, il attendra que la jeune fille l'y autorise.

Au bal, il ne doit pas quitter ses gants et encore moins danser déganté.

La jeune fille: La jeune fille autrefois était l'être doux, timide par excellence, la vierge aux bandeaux de lin (parce que les brunes, hein…), aux yeux modestement baissés, à la démarche timide et incertaine. L'éducation américaine, les tendances modernes, l'accès offert à la femme de toutes les carrières, de toutes les études, de tous les sports, lui ont donné un aplomb et une audace presque masculins. La mère pleure, le père se désole! Et lorsque l'âge arrive, que la jeune fille devient vieille fille, on reste stupéfait. Elle est charmante, pourtant, direz-vous, si instruite, si intelligente! Voilà, elle l'est trop. Elle fait peur aux hommes qui s'imaginent qu'une femme trop savante ne pourra tenir convenablement son intérieur et diriger sainement ses enfants. Hélas, d'autres l'ont dit avant moi, la femme est toujours exagérée, elle se jette sans retenue aucune dans un excès ou dans l'excès contraire.

(Je reviens, je vais boire une verveine pour calmer mes nerfs exagérés) (…)

Une jeune fille ne doit jamais sortir seule; mais si la position de ses parents ne lui permet pas d'avoir une bonne pour l'accompagner, elle fait les courses vêtue simplement, marchant vite sans regarder à droite ou à gauche et sans s'arrêter devant les étalages des magasins.

Une jeune fille ne doit pas aller avec une institutrice, ni avec sa femme de chambre sur une promenade au moment où la foule se presse pour entendre la musique militaire; elle n'y va qu'avec ses parents. Une fillette ne doit pas non plus donner le bras à sa bonne. À la promenade, une jeune fille doit marcher à côté de sa mère, elle ne restera jamais seule, devant ou derrière ses parents, avec un jeune homme.

Une jeune fille ne croise pas les jambes.

Une jeune fille ne fait pas de cadeau à un jeune homme; lorsqu'elle en fait un à son fiancé, elle le donne au retour de la mairie le jour du mariage civil.

Une jeune fille ne doit pas laisser voir à un jeune homme qu'elle l'aime et désire l'épouser; elle doit montrer au contraire à son égard plus de réserve et de retenue afin de cacher ses véritables sentiments. Si le jeune homme lui fait une déclaration et lui annonce son désir de l'épouser, elle confiera immédiatement à sa mère la recherche dont elle est l'objet.

Une jeune fille ne donne jamais sa photographie à un homme à moins qu'il ne soit son fiancé.

Au bal, la conversation d'une jeune fille avec son cavalier ne doit rouler que sur des banalités: la beauté de la fête, l'élégance des toilettes, la manière gracieuse de recevoir des maîtres de la maison.

À table, elle mangera raisonnablement, boira de l'eau ou du vin très étendu d'eau, supprimera épices et café de son alimentation.

Le mariage: La mère agira prudemment en entretenant parfois sa fille de ce grave sujet qu'est le mariage; elle lui enseignera la douce et sainte mission de la femme qui est de se dévouer sans relâche et d'aimer sans bornes, elle lui parlera de la dignité du foyer, de la tâche écrasante de l'éducation des enfants (surtout bien leur apprendre à viser avec les dragées en plâtre!). La jeune fille, bien pénétrée des lourds devoirs qui pèsent sur l'épouse et la mère, ne montrera pas cet empressement étourdi à se marier pour le simple désir de faire comme ses amies. Et surtout elle comprendra mieux quelles qualités sérieuses, quelles vertus elle doit rechercher, avant tout, chez celui qui marchera à ses côtés dans la vie du devoir. Elle sera moins prompte à s'enthousiasmer pour un jeune danseur à la moustache soyeuse et bien relevée. Il ne convient pas qu'elles cherchent un mari; elles doivent l'attendre, voilà tout.

Le choix d'un époux: "Le mariage est la base de la société". C'est cette union honnête et saine qui donnera à la nation des hommes forts et des femmes vertueuses. Les mariages improvisés présentent de réels dangers. Peut-on, en si peu de temps, étudier l'âme discrète d'une jeune fille, l'âme plus complexe d'un jeune homme?

(...) Le mariage d'amour, lorsqu'il ne heurte pas les autres considérations de position, de convenances, est ce qu'il y a de meilleur. Il arrive parfois aussi qu'un jeune homme ou une jeune fille fasse un choix indigne. Dans ce cas, les parents devront déployer beaucoup de tact et surtout une immense tendresse, ils prouveront à leur enfant que s'ils lui interdisent de réaliser sa chimère, ils souffrent avec lui de ce déchirement. Tant d'affection ébranlera ce jeune cœur, il renoncera à la longue à sa folie. C'est dans la crainte de semblables accidents que les parents surveilleront étroitement leur enfant.

Les préliminaires: Si un jeune homme a rencontré une jeune fille qui lui paraît être l'idéal rêvé, capable de devenir la digne compagne de sa vie, (…) il n'est pas d'usage qu'il lui fasse part directement de ses intentions. Son père, à son défaut sa mère, un oncle, un vieil ami, se chargera des démarches. Cet ambassadeur ne manquera point de prendre sur la famille de la jeune fille tous les renseignements nécessaires. Ces renseignements devront être très circonstanciés, il faut s'enquérir de l'honorabilité, de la fortune, des maladies héréditaires, des antécédents. Le père de la jeune fille ne peut immédiatement donner une réponse ferme; il agira prudemment en l'ajournant, sous le prétexte poli de consulter sa famille, mais en réalité il se réserve le temps de prendre par lui-même des renseignements complémentaires.

(…) Lorsqu'il aura été reconnu que l'union entre les deux jeunes gens est possible, on suscite une rencontre, on choisit un terrain neutre, une église, un musée, un lieu de promenade. La jeune fille est avec ses parents, le jeune homme est accompagné de la personne qui s'entremet pour le mariage. On se rencontre comme par hasard, à la sortie de l'église ou pendant la promenade, et après les présentations, une conversation générale s'engage. Elle est courte et banale, il serait de mauvais ton de chercher à la prolonger indéfiniment. Il est préférable que la jeune fille ne soit pas prévenue. (Qui a parlé de maquignonnage?)

(…) La demande officielle est présentée par le père du jeune homme; une tenue très soignée est indispensable, redingote et gants mi-teinte.

Dans le prochain épisode, je vous retranscrirai les joies des fiançailles, incroyablement codifiées.

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samedi 18 août 2007

Cartes

Je vous montre les deux cartes que j'ai réalisées il y a quelque temps, dont une pour l'anniversaire de ma fille aînée. C'est la même technique que sur l'oeuf d'autruchette, en collant des tout petits bouts de cartes anciennes imprimées sur du papier machine normal, avec plusieurs couches de vernis ensuite (et ponçage entre chaque couche pour supprimer les aspérités).

Je me suis trouvée face à une question grave et importante au moment de finir ces cartes. Devais-je leur donner un titre ou pas? Et je me suis gravement, comme il se doit, répondu: "peut'èt ben que oui, peut'èt ben que non". Autrement dit, j'en ai mis un sur la carte rectangulaire, en découpant parmi les titres tarabiscotés des vieilles cartes et en reconstituant un nouveau nom: "Provinces de Fratulie". Par contre je n'en ai pas mis sur la carte sur plaque aux bords arrondis. Pourquoi? me demanderez-vous, tout esbaudis. Si, si, inutile de le cacher, je le vois bien que vous êtes esbaudis. Ben, parce qu'une carte rectangulaire, c'est un morceau de quelque chose, un zoom sur une partie, un extrait. Il faut donc préciser de quoi il s'agit. Tandis qu'une carte aux bords tarabiscotés, c'est un objet plus qu'une carte, il est moins nécessaire de le désigner. Voilà, ce que je me suis dit. Et comme je suis d'un naturel obéissant, j'ai fait ainsi.

Bon, maintenant, les images:


(Oui, c'est fait sur une plaque qui a servi d'essai pour un dessin de chimpanzé, essai jamais poursuivi, alors hop, recyclage!)


On voit bien comme les morceaux sont tout pitis pitis, non?


Au-dessus, c'est la carte finie mais pas vernie.


Là, elle est vernie. Vous noterez le tour doré à la feuille de faux-or!


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vendredi 17 août 2007

Cadres

Bonjoir, bonsour, euh, salut! Faut pas trop m'en demander ce soir, ou cette après-midi, je ne sais plus trop, parce qu'à midi j'ai mangé des pigeons, enfin plutôt nous avons mangé un pigeon chacun, surtout les chacunes, et que j'ai bu du vin rouge qu'il était bon, et que j'ai dû laisser quelques neurones par-ci par-là (faudra que je vérifie avant de faire la vaisselle s'il n'y en a pas quelques-uns sur les rebords). Enfin bref, je vais vous faire un post tout simple, tout tranquille, pas d'histoires de dix-neuvième siècle finissant, juste des images de bidules en laine feutrée encadrés.

Tout d'abord le zèbre dans son cadre idoine:


Puis le boeuf musqué enfin encadré. Je mets deux photos pour que vous puissiez voir que le cadre est en fait une sorte de boîte en cartonnage avec une partie en creux pour recevoir la bestiole, histoire qu'elle ressorte mieux.




Bon, maintenant, une petite verveine, quelque chose de pas trop fort. Ou alors juste une eau chaude, avec un sucre.

Ah non, j'oubliais! Je rajoute une photo d'un autre zèbre fait il y a longtemps pour mes fifilles, le genre de jouet à offrir à vos pires ennemis: la tête de cheval ou autre équidé pour galoper dans l'appartement, avec le bâton qui arrache le papier peint dans les virages, qui renverse les verres et fracasse les bibelots. Quoique... ça peut être utile si vous avez des objets dont vous souhaitez vous débarrasser! Vous les disposez sur le trajet éventuel et vous êtes certain d'être enfin soulagé de la vue de la petite théière avec une tête d'éléphant ou du papillon-qui-fait-la-brasse en barbotine. Attention, ça ne marche pas avec les colliers de nouilles, les porte-crayons en fond de bouteille en plastique et autres chefs d'oeuvre rapportés de l'école, l'instinct des enfants est imparable pour ça. Ou alors il faut les soudoyer mais leurs tarifs sont devenus prohibitifs. Autant garder les oeuvres et vous venger plus tard, les occasions ne manqueront pas (pensez simplement au nombre de fois où vous pourrez leur dire: "tu as fini tes devoirs?" le dimanche soir... gniark gniark gniark!) Sur ces bonnes paroles de mère indigne, je vais me faire chauffer de l'eau!

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jeudi 16 août 2007

Guide des convenances, suite

À la demande unanime d'une personne, je continue ma retranscription de ce Guide des convenances. Vous me remercierez le jour où vous serez invités dans le grand monde!

Les accidents du jeune âge et leurs remèdes: (…) le plus petit, à moitié guéri de sa chute, s'empare du beau cheval de bois verni en rouge, lui suce l'oreille et s'empoisonne (déjà les importations de jouets chinois?). Si l'on avale une guêpe en mordant dans un fruit ou en buvant, il suffit de mâcher un oignon cru et d'en avaler le jus. Pour calmer la douleur d'une brûlure, on emploiera de la vaseline mélangée de chlorhydrate de cocaïne dont l'action anesthésique est assurée.

Comment élever les enfants: Ce (les garçons) ne sont plus des enfants, mais de petits sauvageons (…) guidés uniquement par leur besoin d'activité animale. Que le petit garçon gardé au salon (peu d'instants seulement) sache se contenir; qu'il tende la main, qu'il réponde gentiment aux questions qu'on lui pose, sans réclamer sa trompette ou sa toupie (ou sa dose de chlorhydrate de cocaïne). Maintenant les filles: Elle a peur de tous les nouveaux visages, se cache dans la jupe de sa mère, comme un petit animal sauvage, lorsqu'on veut s'en approcher et si, par hasard, on y parvient, s'enfuit en poussant des cris de désespoir.

La bonne d'enfant: Les domestiques doivent dire en parlant des enfants de la maison: "le potage de mademoiselle est servi. – Le professeur de Monsieur Pierre est arrivé. – Monsieur le baron est attendu. – Madame fait demander mademoiselle Fernande." Ils devront parler aux enfants à la troisième personne. Ils ne leur remettront rien de la main à la main; une tartine de confiture, un morceau de pain, un verre de lait, seront présentés sur un plateau. Si la bonne appartient à une province dont le costume est pittoresque et attrayant, on lui conserve son costume national (?) avec le tablier inhérent à ce costume.

Instituteurs, institutrices, professeurs, gouvernantes: On ne remet pas au professeur l'argent de la main à la main, on le lui remet sous enveloppe fermée. Il est de toute convenance que la mère assiste aux leçons données à sa fille lorsque le professeur est un homme; elle peut assister à quelques-unes des leçons données à son fils, pour s'instruire. Rien de plus beau qu'une mère de famille apprenant péniblement les déclinaisons latines pour pouvoir être utile à son enfant. (…) S'il s'agit d'une maîtresse de piano, on pourra réclamer son aide dans un concert, un bal; mais il faudra avoir soin de rémunérer ses services. Elle s'habillera de la même manière que les autres invités, mais avec une note discrète et sobre. Au bal, si on l'invite à danser, elle refusera. L'institutrice attachée complètement à une famille (…) est tout à fait en dehors du train ordinaire de la maison. Pour que les domestiques ne la confondent point avec l'un d'eux, il suffit qu'elle s'en distingue nettement par sa tenue et sa discrétion; on se met plus sûrement au-dessus d'eux par la réserve et la douceur que par une morgue insolente. Il leur serait d'ailleurs trop facile de faire sentir à l'institutrice qu'elle est une gagée comme eux. L'institutrice qui est jeune, de bon monde, éprouve le besoin de faire une seconde famille et elle est tentée d'oublier vite qu'on la paie, elle risque de se le voir rappeler un jour. Elle ne doit pas être obséquieuse ni servile, simplement complaisante et effacée; elle ne cherchera point à briller par une conversation spirituelle, à rire, à se mettre en avant. Elle attendra patiemment qu'on l'interroge, qu'on lui offre d'un plat, qu'on la prie de lire, de jouer, de chanter, et elle s'excusera avec douceur. Elle fera bien de se retirer dans sa chambre chaque fois que le devoir ou la politesse le lui permettront.

J'arrête là pour aujourd'hui, je vais crier un peu par la fenêtre et desceller quelques pavés.

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Guide des convenances

J'ai fini de relier ce "Guide des convenances", je peux enfin le feuilleter sans devoir reconstituer l'ordre des cahiers auparavant. Il vaut son pesant de gratons, comme on dit dans la région (région lyonnaise, d'accord, mais "il vaut son pesant de gratin dauphinois", ça marche moins bien).








Je sens que vous brûlez d'impatience d'en lire quelques extraits aussi dans ma grande mansuétude je vous en livre quelques-uns. Accrochez-vous, c'est du lourd!


La naissance tout d'abord, la jeune accouchée reçoit en toute simplicité, jugez-en par vous-mêmes: Les draps sont brodés ou festonnés, l'oreiller garni de dentelle avec son chiffre au coin; la toilette de lit, en batiste blanche et souple, entourée de valenciennes, de dentelles légères et mousseuses, avec ruban de cou rose ou bleu. À son bras, ou à son doigt, brille un bijou, cadeau que le mari aimable fait d'ordinaire à la jeune maman à chaque accroissement de la famille. (…) On ne donne jamais d'objets en laine rouge, grise ou cachou. Ces couleurs, très peu salissantes, sont réservées aux layettes des enfants pauvres.

La déclaration à l'état-civil: Le déclarant, accompagné de deux témoins majeurs, se rendra à la mairie (…). Les femmes, depuis une loi récente, peuvent servir de témoins dans les actes civils. La plupart reculent, dans la crainte puérile d'être obligées de dire leur âge.

Le faire-part: "Naissance d'un gros garçon ou d'une petite fille".

Les relevailles: La jeune mère les fait seule accompagnée de la bonne de l'enfant, quelquefois d'une amie intime; elle se rend à l'église, assiste à une messe. C'est en général sa première sortie. Son mari l'accompagne s'il partage ses sentiments religieux mais sa présence n'est pas obligatoire.

Le baptême: Il n'est plus guère d'usage, à Paris et dans les grandes villes, de jeter des dragées à la sortie de l'église. Mais à la campagne, c'est une mode presque obligatoire. Les gamins, groupés, attendent à la sortie les dragées mélangées à des pièces de monnaie qu'on leur lance à la volée. Bien entendu, ces dragées sont de qualité inférieure et ne ressemblent en rien à celles contenues dans les boîtes de baptême. Je trouve de très mauvais ton cette plaisanterie qui consiste à tromper l'attente des enfants en leur jetant des dragées de plâtre. (Je vous jure que je n'invente rien, je ne fais que recopier!) (…) Plus tard, lorsque le bébé sera grand, on lui parlera de son baptême, du dîner dont il a été le héros, des toasts portés sur cette tête fragile. C'est un souvenir doux au cœur de la mère et qui émeut l'enfant lorsque ses parents le lui racontent (et il rit tellement quand on lui parle des dragées en plâtre!)

Vient ensuite un chapitre assez étonnant, celui du baptême d'une cloche, avec la description des différentes manière de la vêtir, par exemple avec une toilette très simple, en tulle ou en mousseline, serrée dans le haut à l'aide d'un large ruban formant coques laitonnées; au milieu de la cloche on coud le nom de la nouvelle baptisée à l'aide de lettres gigantesques faites en fleurs. Simple et de bon goût, non?


Une variante, le baptême de barque qui crée pour le parrain et la marraine l'obligation d'être utiles aux braves gens qui les ont choisis. Ils font des cadeaux aux enfants du patron, offrent des bonbons, du vin à discrétion aux pêcheurs, à leurs femmes et doivent participer aux plaisirs de la journée sans montrer ni ennui ni fatigue. (Marrant, je commence à avoir l'Internationale qui passe en boucle dans mes neurones…)

Viennent ensuite les premiers jours de l'enfant (après la cloche et la barque…), avec le lavage de la tête sur laquelle il ne faut pas laisser accumuler la crasse ou les croûtes. Rejeter tout bandage qui comprime la tête et qui peut produire, plus tard, des désordres dans la santé et dans l'intelligence.

La nourrice: Bien des cas, maladie, occupations, surcharges mondaines, empêchent la jeune mère de nourrir l'enfant. (S'ensuit une description extrêmement précise de la tenue de la nourrice, jusqu'à la forme du bonnet et la nature des dentelles). Un fleuron maintenant, accrochez-vous: La nourrice mange à part avec son nourrisson, pourtant dans certaines familles les parents exigent qu'elle partage le repas familial. De cette façon la surveillance est beaucoup plus facile et on évite à l'enfant des dérangements procurés par la gourmandise de la nourrice, prenant en cachette un fruit, un aliment acide défendu. Le vin, la bière doivent être ses seules boissons.

Sur ces édifiantes paroles de la toute fin du dix-neuvième siècle, je vous laisse méditer. La suite au prochain numéro si vraiment vous insistez! (Je vais aller me passer Jacques Brel, Pourquoi ont-ils tué Jaurès?)

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mercredi 15 août 2007

15 août

Ah, le 15 août, l'autre borne des vacances! Le soir du 14 juillet, je me couchais en me disant "déjà une quinzaine de jours écoulés", le matin du 15 août je me disais "plus qu'une quinzaine de jours".

Et encore, si j'avais été la seule à me dire ça, mais les adultes aussi nous le faisaient remarquer, même la météo s'y mettait. Je vous parle d'un temps où il faisait beau et chaud l'été, pluvieux et froid en automne. Si, si, souvenez-vous… Bref, il se trouvait toujours quelqu'un pour prédire qu'à partir de cette date fatidique, le temps ne serait plus jamais vraiment au beau fixe, que les pluies allaient s'installer. Le pire c'est que c'était vrai. Déjà il ne fallait pas être grand clerc pour remarquer que les jours avaient sournoisement raccourci, la lumière avait changé, l'air était plus… liquide et les heures devenaient fuyantes. Deux semaines à croire encore que l'on vivrait toujours ainsi, avec d'immenses plages de temps rien que pour soi, à remplir à son gré de rien ou de projets. Le corps avait pris ses habitudes avec la maison et les autres lieux, dévaler l'escalier se faisait sans réfléchir, les ruptures de niveau devant la maison étaient inscrites dans la routine, escalader le mur devant la ferme pour s'asseoir sur les grandes lauzes se faisait sans même l'aide de la grande pierre de l'angle, s'agenouiller sur les barres du bassin pour boire directement au jet d'eau se faisait d'un seul geste, mais déjà des signes avant-coureurs de la rentrée apparaissaient. Les noisettes commençaient à mûrir, les foins étaient rentrés depuis longtemps, le blé était moissonné, et, horreur suprême, les cartables étaient apparus dans les rayons des grandes surfaces (en ce temps-là, ils n'apparaissaient pas dès la mi-juillet!).

Petit à petit, mes parents commençaient à mettre en route le retour à la ville, les allers-retours se faisaient plus fréquents pour les achats de livres, de vêtements, les aménagements de l'appartement. Il allait bientôt falloir songer à porter des chaussures, des vraies, après deux mois les doigts de pied en éventail dans les tongs, les espadrilles ou dans rien du tout. Le port des chaussettes dans des chaussures fermées donnait une vraie sensation de contrainte (ah, les Clarks, si douces et pelucheuses au départ, vite râpées et luisantes). Par contre, devoir porter à nouveau un pull-over le soir était un plaisir, celui des retrouvailles avec les vieux chandails rangés dans un des tiroirs de la grosse commode dans la chambre de mes parents, ces tiroirs si difficiles à ouvrir parce qu'ils se coinçaient si on tirait un tant soit peu en biais. Ils sentaient un peu l'anti-mite, au départ, ces pulls, ils étaient parfois troués au coude, mais chacun avait son histoire, son odeur, sa chaleur. Il y avait le pull en "peau de loup", gris chiné, souple et long. Le pull en jacquard bleu et blanc, tricoté serré, que je trouvais très élégant. Il y a eu les pulls informes et trop longs que je me tricotais ou crochetais, ceux dans lesquels je pouvais m'asseoir en repliant les genoux contre mon torse, comme dans une petite tente portative.

Peut-être que le sentiment de sécurité que j'éprouvais dans ce hameau venait aussi de cette totale absence de contrainte vestimentaire. Nous pouvions nous habiller comme nous l'entendions, ça ne provoquait aucun sarcasme, et être à la mode ou pas n'était pas un facteur de rejet. Oh, bien sûr, je bavais devant les tenues de Solange, la fille des fermiers, qui portait les jeans qu'il fallait, qui était bronzée à grand renfort de "graisse à traire" dès les premiers beaux jours, qui allait chez le coiffeur, qui était mince comme il fallait. Elle se changeait plusieurs fois par jour et ses parents ne lui refusaient rien en terme d'habillement. Je me souviens notamment d'un jeans pattes d'éléphant faussement multi-rapiécé qui me paraissait le top du top. Et de ses grosses bottes poilues, gigantesques au bout de ses jambes longues et filiformes. La classe, quoi… Solange, c'était ma copine depuis toute petite, on s'aimait bien, vraiment, mais elle me paraissait toujours un peu inaccessible, enroulée dans son silence et ses habits de minette qui tombaient sur son corps sans chair, jolie mais muette. Un gouffre de solitude en fait, je suis toujours un peu triste quand je pense à elle, à la vie qu'elle s'est faite mais ce n'est pas le lieu d'en parler, même si à tout prendre je crois que son cas résume un peu l'ambiance qu'il y avait dans ce hameau, ce mélange de ville toute proche et de campagne encore rurale, des codes encore ancrés mais déjà bousculés.

Mais je reviens au 15 août…

À partir de cette date, je ressentais comme une crispation liée à ce compte à rebours, l'été n'avait pas été assez rempli, l'inquiétude de la rentrée ternissait les jours, il fallait songer à entamer le déménagement dans l'autre sens, redescendre toutes les affaires que petit à petit nous avions fait monter par nos parents depuis l'appartement. En même temps, retrouver sa chambre "à la ville", comme neuve après ce long abandon, riche de trésors oubliés, était un vrai plaisir. Si seulement il n'y avait pas eu l'école… Et le fait qu'à partir du mois de septembre, j'allais changer de statut dans le hameau, j'allais redevenir celle qui n'est là que le week-end, qui doit interrompre les jeux pour repartir à Grenoble, un peu flottante, mal à l'aise dans la micro-société d'une classe, nostalgique des week-ends à la campagne qui ne duraient jamais assez longtemps pour vraiment retrouver mes marques, à nouveau dépendante des horaires de l'école ou des parents. Retrouver aussi l'excitation de ces départs pour "monter", le trajet mille fois parcouru, la maison avec la volière vers la Buisseratte, la ligne droite de La Monta, le premier virage en épingle à cheveux avec ce bout de pelouse où trônait un cerf en ciment, et, parfois, accroché au grillage, un singe, un vrai. Un petit singe brun-roux. Que faisait-il là ce singe??? Ensuite le virage de la citerne, en pente si raide à l'intérieur que j'avais toujours peur que la voiture parte en marche arrière quand j'étais petite, ensuite cette partie ombreuse, succession de virages peu différenciés, puis le grand tournant de la Grangeotte. A partir de là les champs bordaient la route, je pouvais guetter si les chevaux-de-Jacky étaient là, si les noix commençaient à tomber. Ensuite le bout de route jusqu'au hameau, cette excitation qui montait en retrouvant les lieux familiers, l'accueil des chiens venus nous dire un bonjour frétillant, l'ouverture de la grande porte en planches vermoulues en bas, puis de la petite porte vitrée et grinçante, vite poser le sac avec les devoirs qui ne seraient jamais faits sur place et filer dehors faire le tour des lieux et des gens. Ensuite, beurk, le retour en voiture avec la perspective des devoirs qui cette fois seraient inéluctables…

Maintenant que je ne suis plus une petite fille, j'ai appris à apprécier le mois de Septembre, notamment dans la maison de mes parents, il y a comme un apaisement dans l'air, une respiration différente, la lumière est belle et les cris des enfants dans la cour de récréation de l'école voisine sont devenus synonymes de jeux, du simple retour à une vie rythmée différemment. C'est à ça qu'on voit qu'on a quitté l'enfance définitivement.

Il doit pourtant bien en rester un bon morceau de cette enfance car ce week-end je me suis gavée de noisettes cueillies pas encore mûres, donc juste comme il faut, quand elles sont encore un peu laiteuses. Cette année a été exceptionnelle dans ce domaine, des noisettes par centaines, très peu de véreuses, de quoi aller enfin jusqu'au bout de l'envie. Et je dois bien avouer que je suis allée jusqu'en butée, jusqu'à ne plus pouvoir en manger une seule aujourd'hui et les mois à venir sans doute. J'ai fait mes stocks de magnésium jusqu'à l'hiver!

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mardi 14 août 2007

Zèbre

Je viens de finir une tête de zèbre en bas-relief, elle est (normalement) destinée à une association qui propose des services aux animaux familiers ou sauvages, taxi ambulance, dressage, gardiennage. Si la personne qui s'en occupe est satisfait de cette tête en laine feutrée, il s'en servira comme image d'accroche sur ses stands avec en contrepartie distribution de mes coordonnées. Après tout, mes bestioles en relief d'après photos peuvent aussi intéresser des personnes qui souhaitent garder une image de leur animal favori...

Voici donc la bête:








Maintenant, il me reste à l'encadrer. J'ai préparé le cadre en bois peint façon zèbre, il me faut faire un petit boitage en carton pour accentuer l'effet de relief de la tête qui va en dépasser et insérer le tout dans une sorte de Marie-Louise (avec majuscules ou pas?), bon dans une marge.

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samedi 11 août 2007

Nuit

Je viens de terminer Voyage au bout de la nuit de Céline. Quel choc que cette écriture! Je ne vais pas vous faire une tartine là-dessus mais simplement, à force de lire le mot nuit disséminé dans presque chaque paragraphe (ou tous? Je n'ai pas vérifié), je me suis posé des questions sur ma manière enfantine de vivre la nuit. Ce sera bien plus léger dans tous les sens du terme que ce livre, en qualité comme en propos!

Quand la nuit tombait, il fallait être à la maison, c'était la règle. Sinon ma mère venait nous chercher ou sonnait la cloche qui servait à rassembler la fratrie éparpillée pour les repas. C'était bien d'être au chaud dans la maison, avec la nuit qui se pressait compacte derrière les vitres sans volets. C'était moins bien de devoir l'entamer à la lampe de poche pour aller dans les cabinets au fond du jardin. Il y avait toujours une bestiole pour faire du bruit dans le massif d'hortensias, un escargot égaré qui craquait sous le pied, avec ce petit bruit terrible de papier froissé définitivement puis le mou, ou le cri d'un oiseau de nuit qui abolissait les distances de la journée en faisant ressentir que la forêt était vraiment proche, un peu trop proche pour un imaginaire encore nourri de loups en goguette. Les quelques mètres franchis d'un seul élan, avec les pieds qui connaissent tout seuls le parcours pour enchaîner les quelques marches, celle du palier en ciment devant la porte de la maison, celle avec le rebord en bois devant l'hortensia à l'angle de la cabane, la petite partie plate, puis veiller au rebord de la plaque en béton en pente devant l'autre cabane et enfin atteindre les cabinets. Vite tourner le loquet en bois pour ne pas faire durer le moment où on tourne le dos à la nuit, ne pas respirer tout de suite et s'installer. Le jeu pouvait commencer. Le jeu de la lampe de poche. Tout d'abord l'enfermer entre les doigts pour les voir devenir d'un rouge orangé, translucides, essayer de deviner les os et le craindre un peu, jouer avec l'idée de son propre squelette, petit jeu morbide pour braver la peur du noir. Ensuite, prudemment, la promener sur les murs du réduit pour dénicher la limace trop proche, l'inévitable limace couleur brique, fouiller dans le creux des toiles d'araignées. Surtout, jouer avec les contrastes de lumière. Braquer le rond lumineux sur les planches de la porte, très disjointes, vérifier une fois encore la projection sur ce support des cercles inscrits dans le verre de la lampe, planches grises aux reliefs écrasés et interstices sombres, velours impénétrable. Puis éteindre la lampe, planches sombres, ombres chinoises et la nuit devenue bleue, laiteuse, la silhouette des arbres, du toit de la grange, qui se reconstitue de bandes en bandes. Dedans, dehors. Sombre, clair. Répulsion, attirance. Le tout au gré de la volonté et du maniement de l'interrupteur. Démiurge, à tout le moins. Démiurge assis sur une planche trouée au fond du jardin mais démiurge quand même. Et après nos parents s'étonnaient de la faible durée de vie des piles de la lampe de poche…

La nuit, c'était aussi à la fin de l'été celle qui rendait inquiétant le moment d'aller chercher le lait à la ferme. Je descendais en courant le bout de route, accompagnée par le clap-clap des tongs ou des espadrilles (elles se portaient patinées, avec le talon replié et presque fondu dans la semelle de corde) et je remontais plus lentement pour ne pas renverser le lait (bon, d'accord, je le faisais tournoyer au bout du bras pour vérifier la bonne tenue de la force centrifuge, mais qui n'a pas fait ça avec un pot de lait?). Et là, je sentais très précisément la peau de mon dos, le creux entre les omoplates, là où devait venir se planter le regard des prédateurs de tout poil, mais les prédateurs les plus redoutés se tenaient sur la fin du parcours, au moment de prendre le petit bout d'allée entre deux granges, au niveau du recoin envahi d'herbes. Ils n'avaient ni crocs ni griffes mais des intentions moqueuses et malines. En effet, quoi de plus amusant pour des grands frères que de surprendre leur petite sœur avec un Bouh sonore au moment où elle l'appréhende le plus? Bah, j'en ai fait autant plus tard et même pire. Je me souviens du jour où j'ai demandé à ma copine Sylvie de m'accompagner chez les voisins propriétaires d'Oural, il faisait nuit et c'était l'heure de lui préparer sa pâtée, mélange de viande mise à décongeler le matin et de brisures de riz. Elle m'attendait dehors pendant que je malaxais la mixture à mains nues avant de la donner au chien qui restait la nuit dans ce réduit au rez-de-chaussée. Nous étions parties sans lampe, nous fiant à notre connaissance des lieux pour trouver notre chemin sans trop de difficultés mais la route était en pente forte et quand j'ai rejoint Sylvie, je lui ai demandé de me donner la main pour m'éviter de tomber. Elle aurait dû se méfier parce que j'avais sûrement un ton goguenard dans la voix et la main que je lui ai tendue, qu'elle a si gentiment attrapée et que j'avais soigneusement omis de nettoyer était gluante de riz froid et de viande crue. Elle a poussé un grand cri et je dois bien avouer que j'ai ri, sadisme amical.

Grandir, c'est en partie apprivoiser la nuit. Ça commence par apprendre à ne plus redouter l'endormissement, ne plus imaginer que les ronflements paternels qui passent à travers les cloisons sont le signe irréfutable d'une bête tapie qui ronge les barreaux du lit. Plus ça passe par l'association de la nuit avec des moments hors du ronron, feux du quatorze juillet par exemple, chasse aux escargots attirés par la fraîcheur nocturne, puis par les promenades entre amis. Mon petit frère, Manu, arrivant tardif dans le hameau et moi allions ainsi faire le "grand-tour" vers minuit, longue promenade d'un côté à l'autre de la vallée, deux heures de marche dans un univers aux sons modifiés, sur une route oubliée momentanément des voitures et dont on peut s'approprier le milieu sans crainte puisque phares et bruit nous préviendrons. C'est aussi partir camper dans les prés au-dessus du hameau, en prenant bêtement la précaution d'emmener les chiens pour veiller sur notre sommeil. Erreur grossière car les chiens faisaient du zèle et nous réveillaient en fanfare d'aboiements au moindre bruit dans les taillis, nous créant ainsi de grandes frayeurs pour finalement nous abandonner et repartir dormir au chaud à la ferme.

À la fin de l'adolescence, la nuit est devenue une fête, le temps des réunions entre filles et garçons, des premières bringues organisées ou plutôt peu organisées autour d'un char à foin pour poser les cannettes, un autoradio pour toute sono, un feu de camp pour la lumière. Le temps hors celui des adultes, ce qui impliquait aussi parfois de trouver porte close au retour trop tardif. Il m'est arrivé ainsi de dormir sur une chaise longue dans une cabane en attendant l'heure du lever parental. L'accueil était un peu froid pour le retour de Pomponette…!

Mais il s'agissait là de nuits partagées. Petit à petit je l'ai voulue pour moi seule la nuit, l'explorer un peu, voir ce qu'elle avait dans le ventre et moi aussi par la même occasion. Alors je suis allée me balader seule à travers les champs, sans lampe, histoire de tordre le cou à mes craintes, de m'accoutumer à sa texture mouvante et d'apprendre que cette forme qui bouge, là, dans ce buisson, ce n'est justement qu'un buisson, un peu de vent ou un effet de la vision nocturne et pas un violeur en série mâtiné d'un sanglier furieux. Bon, une fois je crois que c'était vraiment un sanglier qui ronchonnait devant moi en bousculant les feuilles et je n'ai pas joué les bravaches, j'ai sagement fait demi-tour.

J'ai gardé de ces histoires de nuit une grande sympathie pour les lampes de poche, elles m'apparaissent encore comme un petit trésor, un luxe dans le tiroir, même si je ne veille pas toujours à les alimenter en piles!

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vendredi 10 août 2007

Ours

Ma connexion Internet est très capricieuse en ce moment, ça explique en partie la raréfaction des posts, pourtant j'ai beaucoup de bidules en cours de finition, de quoi poster tranquillement pour les jours qui viennent même si tout n'est pas passionnant. Repeindre les portes du couloir, installer une lampe murale, je vous en fais grâce. Mais je vous montre la tête d'ours finie avec ses étapes.

Elle m'a pris beaucoup plus de temps que la tête de jaguar, pourtant elle n'est guère plus grande mais du fait de l'aspect presque monochrome j'ai dû apporter beaucoup plus d'attention à l'aspect modelage de la laine cardée. Et un ours, ce n'est pas très expressif en fait, j'ai dû veiller à ne pas en faire un gros chien aux oreilles rondes, tandis que pour un jaguar, dès qu'on fait les taches et le nez froncé, on a le gros de l'expression.

J'ai fait les yeux avec des perles que j'ai enchâssées dans des paupières ajoutées ensuite. Le flash les rend particulièrement brillantes et plus claires qu'en réalité mais ajoute à l'aspect vivant inquiétant du rendu final.






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mardi 7 août 2007

Vélos

"T'as de beaux os, tu sais?"

Non, non, je n'ai pas rencontré de prétendant nécrophile (enfin si, j'ai rencontré un prétendant, mais pas nécrophile, juste un soupçon gérontophile au vu de son âge et du mien mais je m'égare là, je reviens à ma chronique), je n'ai pas été dévorée par un lion en vadrouille, bavard et esthète, je ne fréquente pas de serial-killers, ou alors en toute ignorance de leur passe-temps. Il s'agit simplement du compliment que me fit, en me vouvoyant d'ailleurs, le kiné qui s'est occupé de ma cheville suite à l'entorse.

Vous voulez savoir ce que c'est que de beaux os? Et bien voici:


Oui, je sais, c'est impressionnant, une telle esthétique osseuse… Et je tiens d'ailleurs à remercier ici ma mère de qui je tiens cette ossature solide de dauphinoise, du genre qui résiste aux chocs, même si ce n'était pas forcément nécessaire d'adjoindre au lot les mollets qui vont avec. Ni la faculté d'enrober le tout dès que je bois un verre d'eau ou regarde une assiette de pâtes. Bah, tant pis, c'est sans doute ce qui amortit les chocs et fait que je ne me suis jamais rien cassé.

Pourtant, quand nous étions petits nous goûtions "raisonnablement" des risques, avec le plaisir qui va avec et l'inconscience de l'enfance. Quand nous allions camper en Bretagne, je me souviens de ce jeu enivrant consistant à me laisser porter dans les vagues hautes pour me faire rabattre sur les rochers de la côte. C'est devenu de la science-fiction pour moi désormais tellement mes problèmes d'oreilles me font considérer l'eau comme une ennemie en puissance dès qu'elle s'approche de ma tête. Même quand elle s'écoule du pommeau de la douche. Juste bonne à faire du thé ou à troubler l'anis…

À la campagne, les risques étaient autres, tout d'abord nous étions beaucoup plus livrés à nous-même qu'en camping où les activités étaient bien plus familiales (je ne sais plus si j'ai participé aux séances d'explosion de pétards dans tous supports, depuis les touffes d'algues jusqu'aux pinces de crabes et méduses échouées que pratiquaient mes frères et cousins ou si ce sont des souvenirs recomposés). Nous étions casse-cou en grimpant aux arbres, en dévalant les prés, en nous promenant la nuit dans les sentiers fréquentés par les sangliers, mais il ne s'agissait là que de dangers éventuels, qu'une simple prudence élémentaire pouvait et a pu tenir à distance. La pratique de la luge était plus casse-cou du fait des fils de fer barbelés qui délimitaient certaines parcelles et correspondaient à la fin des trajets, et parce que les grosses luges à patins de fer n'étaient pas très légères (ni très rapides) et qu'on les sentaient passer quand elles poursuivaient leur course par-dessus têtes ou jambes.

Il y avait les risques d'équilibristes, pris en marchant sur les murets de la route ou en grimpant quelques instants sur cette étrange pierre qui dépassait à l'horizontale du talus du chemin du dessus, en jouant au cochon pendu sous le tronc qui servait de barrière au pré de la Jourdenas.

Mais en fait, les vrais moments où nous aurions pu nous casser quelque chose, c'était ceux que nous passions à vélo. J'ai appris à tenir en équilibre dans la Jourdenas, à l'époque où ce pré était vierge de toute maison (il y en a trois maintenant), en équilibre car il ne s'agissait pas encore de pédaler mais simplement de se laisser porter sur la pente relativement douce sur ces tout petits vélos à grosses roues, bleus et rouges, ceux des grands frères. Ensuite il y avait l'apprentissage du pédalage sur le bout de route à plat qui allait du début des châtaigniers jusqu'au portail de la ferme. Ça faisait quoi, vingt, trente, cinquante mètres? Alors pour varier le trajet et nous donner des émotions de vitesse, nous faisions le tour de la grange, partie dans l'herbe, partie sur le bitume, sans cesse, nous appelions ça nos vingt-quatre heures du Mans, et le frisson était de passer dans la tranchée qui restait de je ne sais quels travaux tout en évitant le pommier à cochons sur la trajectoire (un pommier à cochons, c'est un de ces petits arbres qui donnent pléthore de fruits mais verts et durs, acides, juste bons à faire des projectiles ou à engraisser le ou les porcs). Il n'y avait guère de voitures et nous les entendions de loin, heureusement, car nous déboulions sans visibilité sur la route et les freins de nos vélos étaient souvent du genre paresseux.

La phase suivante consistait à aborder la pente qui conduisait à la Grand-Route, en freinant méticuleusement ou en se ralentissant en roulant dans le bas-côté, quitte à mordre sur le talus pour ralentir la machine. Ensuite il y avait une seconde zone de plat, bien dégagée, qui me paraissait… luxueuse? Le mot peut paraître étrange comme il est étrange que ces mêmes parties du chemin aient des textures différentes selon qu'il s'agissait de l'aller ou du retour. À l'aller, avant d'arriver au hameau, elle me paraissait interminable cette petite ligne droite, inutile, une petite mesquinerie du trajet avant d'atteindre enfin le bout de route sous les châtaigniers, là où l'odeur et la fraîcheur annonçaient l'atmosphère de "chez moi". Au retour, c'était une zone apaisante, la dernière marque de connivence avant d'atteindre la Grand-Route à tout le monde. À vélo, cette partie était celle dédiée à la vitesse, pas d'obstacles, pas de pièges. Ah si… Les gravillons… Chaque année au printemps les routes en étaient recouvertes par endroits. Une couche de goudron longtemps collante, de quoi enliser les espadrilles qui restaient engluées dans la couche fondue du bord du chemin, définitivement collantes et généreusement noirâtres, une couche de gravillons laissés tels quels, au bon soin des voitures pour les enfoncer ou les disperser, rien de tel pour faire déraper les vélos. Ces gravillons apparaissaient de façon aléatoire, tantôt dans tel virage, tantôt à l'entrée de tel chemin, comme l'apparition d'un vouloir malveillant et inévitable, un peu comme dans la mythologie grecque et romaine ces facéties de dieux qui s'ennuient et cherchent noise aux humains pour se distraire. Y avait-il des cantonniers hilares cachés derrière les noisetiers? Toujours est-il que nous avons souvent dérapé sur ces saletés et que nous avions souvent les genoux couronnés et incrustés de petits cailloux. Ensuite nous étions bons pour le mercurochrome, celui qui pique…

Je retrouve encore la sensation de la chute, réactivée récemment par celle que j'ai fait et qui m'a valu une entorse, ce moment infiniment long où on sent que ça y est, le phénomène est enclenché et que l'on ne peut qu'attendre la suite, encore dans l'instant où on n'a pas mal, où tout fonctionne. Ensuite, vient le moment où on se retrouve au sol, étourdi, ridicule, râpé, rassemblant ses esprits et tâtonnant pour faire le décompte des dégâts. Je me souviens de belles gamelles, d'avoir été emmenée saignante et hurlante par la fermière pour des premiers soins (tournée générale de mercurochrome!). Je sais que mon frère aîné s'était sérieusement ouvert le genou dans une chute, que je me suis coupée l'arrière du pied en le laissant malencontreusement trainer parmi les rayons de la roue arrière du vélo de la copine qui me portait, mais rien ne nous valait le plaisir de ces descentes à vélo et la fierté que l'on éprouvait à petit à petit, effort après effort, parvenir à faire la remontée sans poser pied à terre, sur nos vélos sans vitesses, sans confort (les selles en cuir bouilli, aïe…). Pédaler sur le chemin du dessus était un autre plaisir, tressautant, brinquebalant, la sonnette chantait toute seule sous les soubresauts infligés par les cailloux, la délicieuse inquiétude à l'idée de tomber dans le talus en contre-bas, l'orgueil de contrôler la descente finale, ne surtout pas freiner pour ne pas déraper, faire confiance en sa maitrise de l'engin, sourire, un peu blanche, et recommencer.

Ensuite, plus grands, nous avons fait le "grand tour" à vélo, celui qui allait jusqu'au bout de la vallée, là où un petit pont enjambe le torrent pour revenir par l'autre côté, en frôlant le village d'en face, par une série de virages en épingles à cheveux et finir par la remontée qui casse les jambes. Nous avions désormais des vélos à vitesses, auxquelles je ne comprenais rien au départ, avec les plateaux et la petite manette casse-gueule à manipuler tout en pédalant, et même deux manettes pour mon dernier vélo, celui qu'on m'a volé dans le garage à poussettes. Maintenant je me contente de mon vélo "spécial plat", trois vitesses au guidon, selle rembourrée, panier pour les courses, dents qui s'entrechoquent au moindre relief sur la piste cyclable, autres temps autres mœurs!

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vendredi 3 août 2007

Oural

Edit, comme on dit dans les blogs, à lire en fin du texte mais je le signale ici parce que j'en ai envie.

Je reviens sur la thématique "bestioles" de ces chroniques d'enfance. Quoique le terme bestiole soit assez peu approprié pour parler d'Oural. À partir d'un certain volume de chien, on ne parle plus ainsi, on respecte. En effet, Oural faisait partie de la race des Montagnes des Pyrénées, un gros, très gros Montagne des Pyrénées. Mais comme j'avais fait sa connaissance alors qu'il n'avait que deux mois environ, il ne savait pas vraiment qu'il était bien plus fort que moi et il m'obéissait à peu près. Je dis bien à peu près.

Pourtant ce n'était pas mon chien mais celui d'une voisine, Québécoise d'origine et habituée aux chiens d'envergure. Dans son enfance, elle et sa pléthore de frères et sœurs avaient été élevés avec deux Saint-Bernard, elle avait sans doute souhaité recréer un peu de cette ambiance pour sa toute petite fille qui n'avait guère que huit ou dix mois à l'époque (et marchait déjà! Pas étonnant qu'elle soit devenue acrobate au Cirque du Soleil…). Elle avait donc acheté ce jeune chiot à l'air parfaitement débonnaire sous son poil laineux. Quand Xavier, un ami de mon petit frère en visite chez nous, avait annoncé avoir vu ce tout jeune chien, je n'avais tout d'abord pas voulu le croire. Je connaissais suffisamment toute la gent canine du coin pour savoir qu'il n'y avait aucun exemplaire de ce genre de chiens à des kilomètres à la ronde! Et pourtant c'était vrai. Il faut dire que ces voisins étaient des nouveaux venus, ils avaient totalement transformé une grange plus ou moins abandonnée dans le haut du hameau en une très originale maison lumineuse avec une vue imprenable sur la vallée. Des nouveaux… Fi! Bon, d'accord, eux n'avaient pas saccagé un de nos terrains de jeux pour construire une maison forcément ridicule, mais quand même, de là à adresser la parole à des inconnus, il y avait un pas qui n'était pas encore franchi. Et puis tout d'abord, moi, quoique de la ville, je ne faisais pas partie des "nouveaux", non non, puisque mes grand-parents, ma mère, avaient déjà passé moult vacances dans le hameau voisin pendant des années, j'y avais quand même déjà des racines. Et pour ma "première fois", je n'avais guère que deux ans (et d'ailleurs je m'en souviens encore), donc, hein, bon, moi je n'étais pas une nouvelle, un point c'est tout.


Attirée par l'idée de ce chiot comme une guêpe par un pot de miel, je rôdais autour de leur maison. Pas difficile puisqu'elle donnait directement sur le chemin qui montait au Plagirou, cette série de grands champs en pente qui surplomblaient le replat où se nichaient les maisons. En même temps, ces champs, je n'avais guère à y faire mais bon, j'ai réussi à être là à un moment où Diane, sa maîtresse, sortait ce tout "petit" chiot et dévorée par la curiosité j'ai engagé la conversation et j'ai obtenu l'autorisation d'aller promener Oural un moment. Un grand moment! J'ai toujours eu l'instinct maternel dévoyé diront les mauvaises langues (dont mes filles) mais un "chiot de gros chien poilu" est particulièrement attendrissant avec ses grosses pattes pataudes et la truffe en bouton de bottines fiché dans la peluche. J'ai emmené ce chiot sur le "chemin du dessus" en le portant fréquemment car il se fatiguait vite et pour qu'il ne se pique pas sur les bogues de châtaignes, il paraissait tellement… neuf. Je lui ai parlé, je lui ai montré les lieux puis je l'ai ramené avec un mélange de fierté et de regret, heureuse qu'il y ait un chien de ce genre dans les environs, regrettant qu'il ne soit pas autant en "libre service" que les chiens de la ferme.

Pourtant Oural et moi sommes devenus très amis, je jouais avec lui comme je jouais avec les autres chiens, c'est-à-dire à me laisser mordiller tout en maintenant fermement la mâchoire quand la pression devenait trop forte, à le rouler sur le dos tout en le malaxant. Quand il est devenu plus grand, bien plus grand, ces jeux sont devenus problématiques car quand il prenait son élan depuis le haut d'un pré et sautait pour attraper ma main ou mon bras, son poids m'entraînait par terre et un chien de soixante kilos qui veut faire le jeune chiot fou dans une maison, ça fait des dégâts… et quand il veut jouer au tout petit qui veut se faire câliner sur les genoux, ça pose quelques problèmes. Quand nous mangions (la maison de mes parents était un peu sa deuxième maison) il posait sa grosse tête sur la table en faisant les yeux tristes pour obtenir un bout de quelque chose, pourtant très vite il n'a pas eu besoin de grandir plus ! Il était aussi un peu possessif et si son grand plaisir était de grimper sur le lit pour s'allonger de tout son long entre ma copine Sylvie et moi, il n'aimait pas trop me voir avec un petit copain et un jour où j'embrassais mon copain Olivier, il a mis sa tête entre nous, histoire de rappeler sa présence. Très efficace comme chaperon…


Il s'est très bien intégré dans la meute locale mais assez vite des problèmes se sont présentés. Un promeneur qui avait eu le toupet de passer devant "sa" maison a été pris à parti par Oural et il y avait de quoi avoir peur. Il faut dire que comme le chemin passait sur le pas de la porte, le chien pouvait prendre ça comme une incursion dans son territoire et il n'était guère dressé, voire pas du tout. Bref, Oural a sauté sur l'épaule du quidam qui lui a donné un coup de bâton. L'histoire s'est arrêté là sur le coup mais Oural en a conçu une méfiance pour les passants et de brave bête débonnaire qu'il était il est devenu un chien dont il fallait malgré tout surveiller les réactions. Il avait par exemple l'habitude de poursuivre les rares mobylettes qui s'aventuraient sur la route en cul-de-sac en aboyant et sautant au ras du guidon et je n'aurais pas aimé être à la place du conducteur. Il faisait aussi un brin de conduite aux voitures étrangères ce qui n'incitait pas à ouvrir les portières une fois à l'arrêt. Tant et si bien qu'il a fallu se résoudre à le maintenir à l'attache une partie du temps, quand il n'y avait personne pour veiller à sa conduite. Petit à petit tous les chiens du hameau ont dû ainsi être maintenus enfermés ou attachés du fait de plaintes répétées et j'en voulais beaucoup à ces "estrangiers" qui venaient réglementer la vie locale pour pouvoir se promener tranquillement. Pfff, est-ce que j'allais chez eux, moi, hein? Même si maintenant j'apprécie dans mes promenades de ne pas tomber sur des chiens défendant leur territoire ou alors derrière les grilles de leur maison. Mais ceci est une autre histoire.

Oural a grandi donc et Boule (pour savoir qui est Boule, vous pouvez lire la chronique du premier juin, en cliquant sur cette phrase) s'est rendu compte que le petit chiot laineux était devenu un grand et beau chien. Il est devenu en quelque sorte son amant officiel, ce qui signifie que dans une de ses portées (elle n'en a eu que deux avant d'être stérilisée) nous avons pu voir l'inévitable petit chien noir, fruit de ses amours laborieuses avec le chien de la ferme, son vieux mari autrement dit (Dick est mort à presque vingt ans), quelques bâtards divers et variés, fruits de rencontres de hasard, et un énorme chiot tout blanc avec une ou deux taches grises, c'était Titan qui a fini par devenir presque aussi grand que son père. (Sur la photo il n'a guère que quinze jours...)


Boule aimait vraiment beaucoup Oural, ça se voyait à sa manière de sourire quand elle était avec lui et elle a été très triste quand il est parti (le couple des maîtres du chien s'est défait, Nadine est repartie vivre au Québec et son mari n'a pas voulu garder le chien qui ne lui obéissait pas du tout et était trop encombrant, il l'a vendu à un couple je ne sais plus où, je ne sais pas comment s'est passé l'adaptation entre eux mais je ne suis pas très optimiste sur la suite de l'histoire).

J'ai souvent gardé Oural pendant les absences de sa maîtresse, de quelques heures à un mois complet. Ce n'était pas une sinécure parce que c'était un chien fugueur et quand il partait il partait loin, histoire de rentabiliser son évasion. Il entraînait parfois son fils avec lui et les deux mastodontes en vadrouille ne passaient pas inaperçus. Promener les deux monstres en laisse n'était pas non plus très simple, la vue de tout autre chien mettait Oural hors de lui (c'est Boule qui lui avait appris ça…) et il m'est arrivé plus d'une fois de le maintenir difficilement, lui debout, moi cramponnée au collier. Heureusement il n'avait pas vraiment compris qu'il était bien plus fort que moi et je parvenais à le calmer en haussant le ton. Bon, en criant après lui.

Je suis allée une fois ou deux me promener en ville avec lui. Quelle frime! J'entendais derrière moi le brouhaha des "tu as vu le chien?", "qu'est-ce qu'il est grand, qu'est-ce qu'il est beau!" et les glapissements des roquets qui ne supportent jamais la vue de ce genre de bête. J'étais fière, oui, je dois bien l'admettre, mais un peu inquiète à l'idée d'un possible incident si quelqu'un s'était trop approché par surprise de lui. Quand j'arrivais à un passage pour piétons, je lui intimais d'un ton très convaincu l'ordre de s'asseoir et il s'asseyait. Moi je savais bien qu'il le faisait parce que c'était un grand fainéant qui ne perdait pas une occasion de reposer sa masse mais vu de l'extérieur, ça en jetait et je me sentais dans la peau de la dompteuse qui tire négligemment les moustaches du tigre (la mode n'était pas encore aux molosses à gueule de brute promenée par des jeunes filles fluettes, de toutes façons il n'avait pas une gueule de brute et je n'ai jamais été fluette, ou alors pas longtemps).

Oural est resté trois, quatre, cinq ans dans le hameau, je ne sais plus. Quand sa maîtresse a décidé de quitter la France elle a voulu me le donner mais je ne pouvais pas accepter, j'habitais encore chez mes parents, un tel chien dans un appartement était impossible à envisager (et le nourrir n'était pas rien non plus). J'ai toujours regretté que cette histoire s'arrête ainsi, sur un abandon que je ressentais comme une trahison, le rappel des contingences du quotidien. Un couple qui se défait, une enfance qui se termine, les réalités qui rattrapent les visions idylliques d'un joli coin de campagne où les petits nianimaux kromeugnons gambadaient en liberté. Je sais maintenant que je n'aurai jamais de cheval "à moi", jamais de gros chien "à moi", sauf chamboulement total dans mon existence, mais j'ai encore dans l'escarcelle de ma tête plein de souvenirs goûteux de poney et de gros chiens (et ma foi, ça tient moins de place dans un appartement dans une grande ville car oui, Grenoble EST une grande ville) et c'est bien.

Edit donc: Ma maman me fait dire par ma fille, voir commentaires, que j'ai oublié de parler du caractère facétieux de ce chien. enfin, quand je dis facétieux... son sens de l'humour n'était pas du goût de tout le monde, et surtout pas de cette Marocaine qui était femme de ménage dans une famille du hameau voisin et qui venait tous les soirs chercher le lait à la ferme. La pauvre... Oural lui faisait un brin de conduite systématique, c'est-à-dire qu'il la raccompagnait en lui aboyant après et en sautant autour d'elle (autant dire qu'il devait arriver à hauteur de ses épaules!) pendant qu'elle pressait le pas, livide de terreur. Je pense qu'elle doit encore en faire des cauchemars! Quand elle arrivait dans la cour, les chiens se précipitaient vers elle en aboyant, sentant sa terreur, et elle tentait de se fondre dans les murs dont elle prenait effectivement la couleur. C'était des chiens de garde en fait, mais le problème était qu'ils ne défendaient pas que leur maison mais l'ensemble du territoire du hameau. Et ils le défendaient avec un certain zèle...

Un autre aspect du côté "facétieux "des chiens et des humains du coin me revient en mémoire. Je ne sais pas si j'en ai déjà parlé mais tant pis si c'est le cas, j'en ris encore. Un jour où j'étais sous la charmille avec les chiens, c'est-à-dire Boule, Oural et Teddy (fils de Boule) je les ai vus partir comme des flèches vers le Plantay en aboyant comme des furies. Il s'agissait d'une brave femme de promeneuse qui montait le chemin, naïve et confiante. Quand je suis arrivée sur les lieux à sa rescousse, la femme a éclaté en récriminations contre ces chiens, ce qui était compréhensible étant donné la peur qu'elle avait dû avoir. Mais ça ne m'a pas plu, après tout ce n'était pas les miens et je venais justement les récupérer pour la sortir de ce mauvais pas. J'ai alors attrapé Oural par le cou et je me suis penchée vers lui pour lui demander s'il n'avait pas eu peur de la méchante femme qui lui criait dessus. Là je crois que c'était la goutte d'eau qui a fait déborder le vase et la promeneuse a commencé à m'insulter. Grand mal lui en a pris car alors c'est Monique, la fille aînée des fermiers qui est arrivée, gonflée comme une poule dont on menace les poussins, ergots en avant, et elle a commencé à traiter la promeneuse de tous les noms pendant que je rassemblais la petite meute. La femme a fini par battre en retraite en se demandant dans quel pays de fous elle s'était aventurée. Je ris mais je n'aurais pas aimé être à sa place...

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