mercredi 24 octobre 2007

NOUVEAU BLOG !!!!!

Champagne pour tout le monde, le blog nouveau est arrivé !!!!

A cette adresse, vous pourrez suivre la suite des aventures de Hélène au pays des mots, de la laine feutrée et des crayons: http://www.animaregard.com/blog/

Vous y trouverez les nouveaux posts et quelques fonctions supplémentaires, notamment le rangement par catégories pour les monomaniaques de la laine feutrée, de la reliure ou des chroniques d'enfance.

Assez bavardé, je vous laisse visiter si le coeur vous en dit.

mardi 23 octobre 2007

Amusement

Jeudi dernier je suis partie montrer mes bestioles en laine feutrée dans deux magasins, celui d'encadrement où j'expose de temps en temps et celui où je me fournis en laine cardée.

Dans le premier, je suis arrivée au moment où Pierre-Yves, le gérant, donnait un cours de patine sur cadre à deux élèves, deux dames d'un certain âge certain. Avec son enthousiasme habituel, en grand communicant, il leur parle de mes dessins et me demande de leur montrer quelques exemples. Je n'en avais pas sur moi (suis-je distraite parfois…) mais je sors de mon caddie (c'est classieux pour transporter ses œuvres, non?) mes têtes-trophées. Une des élèves à l'air particulièrement revêche, visiblement irritée de voir le cours amputé par des bavardages, lève alors un œil de ses travaux et se fend d'un sourire. Ces têtes d'animaux à mi-chemin entre la peluche et le réalisme ont apparemment un certain capital-sympathie, ce qui me fait plaisir car c'était le but. Mais elle a gâché cet instant en prononçant LA phrase:

- "Vous devez bien vous amuser!"

Certaines personnes me trouveront bien irritable et prompte à monter sur mes grands chevaux (pourtant je préfère les poneys…) mais j'ai beaucoup de mal à entendre cette phrase sans y percevoir une nuance de dévalorisation. L'amusement est tellement mal perçu… Il y a derrière ces petits mots l'idée que c'est une occupation qui prend la place d'autres activités plus "sérieuses", des activités de "grands", bref que ce sont des enfantillages de femme oisive. J'ai déjà entendu cette phrase quand je suis occupée devant mon ordinateur à apprendre à maîtriser un nouveau logiciel, quand je fais de la couture, quand j'apprends à relier, et d'autres des activités qui font mon quotidien.

Peut-être que je dois attirer ce genre de remarque, peut-être que je ne fais pas assez sérieuse quand je m'active, que je devrais moi aussi avoir l'air revêche en passant de la peinture marron puis du doré avec le doigt sur un cadre en polystyrène pour lui donner un aspect faux bronze pourtant je ne peux m'empêcher de penser que l'amusement est un moteur essentiel ainsi qu'une forme de politesse.

Après tout, dans "je m'amuse", il y a "muse"… Si "je est un autre", peut-être aussi que "jeu" est ma muse? Et de muse à musarder, il n'y a qu'un pas que j'aime franchir de façon légère.

Une autre phrase qui peut me laisser un goût de malentendu (et après je m'étonne de si mal entendre…), c'est celle qui consiste à me dire que j'ai un don.

Je n'aime pas ce terme et ce qu'il y a derrière. Je crois que j'ai un talent, celui de l'observation et du rendu, doublé d'une certaine obstination. Et ça fait une quarantaine d'années que ce talent je le nourris et le développe. Dans l'idée de don, je trouve qu'il y a une notion d'irresponsabilité, une capacité qui aurait été reçue par un hasard bienveillant et inexplicable et qui impliquerait en retour une gratuité. Comment pourrais-je faire payer mon travail s'il n'est pas considéré comme tel mais comme un amusement basé sur une capacité innée? Je n'aime pas montrer la "sueur", et parfois je me sens en porte-à-faux, piégée par mon propre discours de légèreté, surtout avec ce que je produis qui est à la limite entre art et artisanat. Mais ceci pourrait faire l'objet d'un autre message à développer… une autre fois!

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lundi 22 octobre 2007

Courbet

Il y a un mois, je suis passée à ma banque. Je voulais simplement retirer de l'argent liquide pour faire quelques achats mais pour comme la veille, ma carte a refusé de remplir son office et j'ai dû me diriger vers un guichet pour tenter de comprendre le pourquoi du comment. S'en sont suivies quelques minutes de discussion avec la "dame du guichet", en fait un bureau dans le grand hall, et j'en suis sortie toute ragaillardie. Bon, d'accord, mon compte est plus qu'exsangue mais ça va peut-être s'arranger au moins provisoirement. C'est amusant comme quand on explique qu'on a un contrat en vue ça détend les traits de l'interlocutrice et comment quand on explique qu'il s'agit d'être "conseil en animation de communauté virtuelle" autrement dit de modérer le forum d'une émission de télé, ces mots magiques, Internet et télévision, font briller les yeux. Pourtant, la télé je ne la regarde jamais au grand jamais, sauf pour le boulot (yep, je suis pleine de conscience professionnelle) et il s'agit vraiment d'une tâche sans rien de télévisuel, du jardinage dans les messages des participants, histoire que ça soit bien propre, net, tout bien comme il faut. Je riais dans mon for intérieur moqueur en me disant que j'aurais pu formuler ça ainsi: "je travaille dans la communicaaaation pour la télévision".

Bref, j'en revenais toute guillerette, contente de moi et d'avoir pu faire état de mes difficultés financières actuelles sans tomber dans le pathos ni la culpabilité, contente de ce petit bout de moment passé avec une interlocutrice avec la sensation d'avoir été considérée comme une personne et non pas comme une "mauvaise cliente à qui on fait la leçon". Pourtant, je me souvenais bien qu'avec cette même personne j'avais eu droit autrefois à des remarques condescendantes et même, ce qui est hallucinant quand j'y repense, à une menace à peine voilée de signalement de mon cas à je ne sais qui, mère séparée, compte en banque exsangue, mal fringuée, trop dodue, je présentais tous les signes extérieurs du cas social à recadrer. Ce jour-là, mon compte était encore bien plus dans le rouge, je suis toujours mère célibataire, simplement j'étais mieux habillée et surtout plus mince et bien plus sûre de moi. Aussi ai-je eu droit au tutoiement qui échappe et est vite repris, à la remarque sur nos âges équivalents à quelques jours près et aux félicitations sur ce travail (qui sera plutôt bien payé). Bienvenue pour votre retour dans les normes!!!

Ce n'est pas la première fois que je maigris de façon notable en quelques mois et à chaque fois je suis fascinée et amusée par les retours que cela entraîne dans le regard et le comportement d'autrui. En quelques semaines, vous n'êtes plus transparente pour les vendeuses, les gens vous sourient quand vous leur demandez un renseignement, bon, d'accord, les gens-hommes principalement… à condition de ne pas trop maigrir non plus, les gens-femmes vous jettent parfois ce regard agressif et vertical qui vous range dans la catégorie flatteuse des rivales, et surtout, surtout! vous êtes considérée à nouveau comme capable de comprendre ce que l'on vous dit. Ça a l'air extrême énoncé ainsi mais il y a de ça, une "grosse" est une "bonne grosse", enrobée de partout et certainement aussi de la comprenette, à croire que la graisse ne ralentit pas que les mouvements.

Pourtant, cette fois, je n'ai pas fait de régime, ou plutôt j'ai fait "de l'alchimie avec les dents" pour reprendre une vieille expression française, c'est-à-dire que pour ménager l'argent que je n'avais pas, je me suis découvert une capacité certaine à vivre de peu, étonnamment peu, ceci doublé d'un meilleur équilibre dans ma manière d'être, de me percevoir et de voir l'existence. L'un entraînant l'autre. Bref, j'ai quitté la période de transparence que je traversais à intervalles réguliers.

Je revenais donc toute guillerette de ce rendez-vous et pour appliquer le précepte qui veut que "si en plus d'être pauvre, il faut se priver…", je décidai de m'offrir une revue quelconque, de quoi lire d'un œil tout en repassant, piquant la laine feutrée ou cuisinant (je n'aime pas avoir les yeux inactifs…). C'est ainsi qu'après un passage chez le buraliste j'ai continué mon chemin tout en feuilletant le hors-série de Télérama sur Courbet (ben oui, je lis aussi en marchant…). J'ai une certaine sympathie tendre pour ce peintre, il fait partie de la catégorie de ceux qui m'ont rassurée et confortée dans l'envie de dessiner, d'être dans la représentation d'un réel avec ses tableaux que l'on pouvait apprécier sans passer pour une adepte des "couvercles de boîtes de biscuits de grand-mère".

Je feuillette donc et je tombe en arrêt sur une image, celle-ci:

Et cette femme, je l'ai trouvée belle, appétissante, première impression reçue d'une image entrevue en un coup d'œil. Parce que si avoir perdu du poids m'apporte une certaine légèreté justement dans les rapports humains, avoir longtemps vécu en surpoids m'a aussi appris beaucoup de choses, et notamment que le regard et le goût des hommes est beaucoup moins formaté que l'on ne le pense, que la chair est belle. En même temps que j'éprouvais cette émotion esthétique, je me suis souvenue de ce cours d'histoire de l'art aux Beaux-Arts pendant lequel l'enseignante avait projeté cette image qui avait immédiatement provoqué une salve de rires moqueurs et vaguement dégoûtés. Toute cette viande, beurkkk!!!! Futurs artistes et déjà bien engoncés…

J'en étais là de mes considérations, fière de cette largeur d'esprit par moi-même approuvée, quand j'ai tourné les pages au hasard et je suis tombée sur cette autre reproduction de tableau:

Et là; à nouveau, comme neuve sortie des limbes du cerveau, la répulsion devant le trop, trop de plis, trop de chairs… et je suis tombée de mon petit piédestal tout neuf, on est toujours le gros de quelqu'un, on n'apprend pas vraiment, on repousse simplement les limites de sa tolérance.

Pour me consoler, je me suis amusée à penser qu'après tout, dans Courbet, il y a courbes…

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vendredi 19 octobre 2007

Encadrement

J'ai encadré le lion avec les papiers tout neufs achetés hier. Une razzia sur les papiers dans les teintes brunes et vertes!


J'ai choisi un papier vert avec des effets de reliefs pour la marge interne (sans parler du classique papier doré que j'utilise à chaque fois pour doubler l'espèce de petite boîte où j'enchasse la bestiole) et un autre dans les tons bruns clair, à relief lui aussi pour la grande marge. Je me suis dit que ces effets de texture pourraient évoquer des herbes, la savane, que sais-je, bref, donner un peu de vie à l'encadrement.


Bien évidemment, c'est lors de la manipulation finale, quand je me retrouve avec une grande feuille pleine de colle qui doit recouvrir l'ensemble, côtés compris, que j'ai posé le tout sur une tache de colle sur le papier journal. Et pourtant, je m'étais promis de veiller à ne pas reproduire cette bêtise... Trop tard, le papier fragile a pris une teinte foncée à cet endroit et je ne pouvais pas frotter pour enlever la colle sous peine de déchirure. Elle ne saute pas aux yeux mais je sais quelle y est. Tant pis! Peut-être qu'un jour de grand courage je mettrai un cadre autour de l'ensemble...

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jeudi 18 octobre 2007

Quizz

Oui, bon, je sais, je ne suis pas très présente sur le blog depuis quelques jours, pas faute d'être collée devant mon ordinateur pourtant ni d'avoir commencé trente-six textes... Promis, ça va revenir!


En ce moment je me couche tard, très tard, quatre fois par semaine pour une histoire de modération de forum et entre midi et deux je subis une attaque en règle de Morphée (dont je rappelle que contrairement à ce que la terminaison en "e" de son nom pourrait laisser croire, il s'agit d'un homme) qui me plaque sur toute surface moelleuse horizontale et me plonge dans un sommeil qui n'est pas sans évoquer la chute d'une enclume au fond d'un étang.

Sur la photo, vous pouvez admirer les traces d'un tracteur dans un champ de trèfles roses, vues d'avion. Euh non, il s'agit de la peau de mon bras dans laquelle les mailles du pull-over se sont incrustées tellement j'ai dormi profondément et sans bouger d'un iota.

Vous allez me dire que je ferais mieux de poster au lieu de dormir... Mais il faut bien que je prenne des forces pour trouver l'inspiration (et préparer le futur blog tout nouveau tout beau qui est en préparation)!

Maintenant que j'ai édité ce message palpitant, je file en ville pour faire quelques emplettes, j'ai des dessins à encadrer et je manque de papier. Si si!!! J'en voudrais des nouveaux dans la thématique "matières naturelles" pour mes bestioles en laine feutrée. Si jamais j'expose au mois de novembre, faut bien que je les rende présentables, mes têtes-trophées et les portraits.

A bientôt pour la suite des aventures palpitantes de Hélène découvre les joies du travail et de la gestion d'un emploi du temps!

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dimanche 14 octobre 2007

Pomme ou figue?

Aujourd'hui je me suis promenée dans le jardin de mes parents et je suis tombée en arrêt devant le figuier et ses fruits dans différents états de maturité ou de décomposition. Il y en avait pour tous les goûts. Un fruit qui évoque aussi bien la féminité que la masculinité, n'était-il pas plus désigné que la pomme pour représenter le fruit de l'arbre de la connaissance?

Ferme

Souriante

Prometteuse

Carnivore

Qui se laisse aller à une certaine fatigue

Début de déprime, les rides gagnent du terrain, la barbe pousse

Déprimantes

Mutante

La goutte au nez

Et enfin le modèle chauve-souris.

Pendant que nous sommes dans la thématique de l'innocence perdue, une petite photo hyper-classique, une feuille de vigne vierge, juste touchée par l'automne. Pourquoi ce qualificatif de "vierge"? Elle fait pourtant des fruits, de toutes petites grappes. En été, le matin, ou le soir, je ne sais plus, bref à une heure précise de la journée, les fleurs de la vigne vierge perdent les petits capuchons qui protègent les étamines et ça fait une pluie crépitante de cupules vertes qui ourlent le trottoir le long de la maison.

Un autre émerveillement minuscule et rituel de l'automne, les physalis, ou "amour en cage". Une cage de cette sorte, qui met en valeur le fruit précieux derrière la dentelle, n'est-ce pas plutôt un écrin? Et même plus tard, sans fruit, sans matière ou presque, cette résille qui résiste à la putréfaction est très attendrissante à mes yeux. Une trace de vie, une ombre projetée, un souvenir fragile et tenace que la main aplatirait mais que sa délicatesse-même protège, appelant à l'indulgence.


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samedi 13 octobre 2007

Lion (encore un)

Le lion en laine feutrée a fini par capituler devant mon obstination et s'est mis à ressembler à quelque chose. En fait, tout est ma faute, ma très grande faute (comme dirait un certain) car au lieu de faire sagement les choses dans le bon ordre, en commençant par les parties les plus éloignées, j'ai voulu la jouer kador de la laine feutrée et hop, que je commence directement en une seule masse, et tiens que je te mets le museau sous cet angle et pas un autre, et aïe que je me retrouve avec un lion borgne et à la truffe mal placée.

Mais l'entêtement est le maître mot en matière de pic-piquage et j'ai fini par réussir à dénicher une place pour mettre le deuxième oeil, en ratiboisant le mufle trop épais et, en jouant avec les dégradés, à donner plus de relief à la tête.

De face

De léger profil pour voir le deuxième oeil

Vue de côté pour voir l'oreille perdue sous la crinière

Ouf, une nouvelle bête de faite. Parce que si ça se trouve, si l'artiste prévu se désiste bel et bien, j'ai peut-être une expo imprévue en novembre et il serait bon que j'aie un peu plus de choses à montrer que cinq, non six têtes de bestioles. Ah oui c'est vrai, depuis l'expo du mois de mai, il y a quand même eu des portraits et des loups et des pattes de chat. Bon, ça ira. Plus qu'à encadrer tout ça et l'affaire est jouée!

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vendredi 12 octobre 2007

Glinglinterie

Une glinglinterie, c'est dans le jargon familial une petite activité sans importance que l'on aime bien raconter, quitte à interrompre quelqu'un dans ses occupations pour lui faire part de son émerveillement minuscule.

En voici un bel exemple: cet après-midi un ami m'a offert des insectes à peindre pour ajouter à la collection qui orne les murs du couloir. Ces bestioles, jouets pour enfants, étaient livrées avec six petits pots de couleur primaire et un pinceau aux poils écarquillés. J'ai préféré utiliser (mais chut, ma fille aînée ne le sait pas encore) des vernis à ongles (oui, je les ai chipés dans sa boîte en osier) mordorés, bruns, violets, gris. C'est une excellente activité au long cours avec les temps de pause nécessaires pour avoir une jolie teinte profonde.

Sur le scarabée en haut à droite, on peut voir ce magnifique vernis qui change de couleur selon l'orientation de la lumière, entre vert et violet. Mhhh, ça va être jouli!!!!


Si vraiment vous êtes curieux, vous pouvez cliquer sur l'image pour voir les bestioles en plus grand...

Voilà, c'était ma glinglinterie du soir.

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mercredi 10 octobre 2007

Vidéo

Ah, j'y pense, un lien vers une vidéo qui m'a enthousiasmée ce matin, découverte sur un blog de maths (oui, bon, je l'avoue, il m'arrive même de errer sur ce genre de choses... mais pas souvent, hein!). C'est un peu long, il faut attendre quelques minutes pour recevoir le choc esthétique ou émotionnel. Enfin moi, ça m'a fait cet effet là, l'impression de voir la matière s'animer à plusieurs sens du terme.

Allez-y, vous verrez, c'est beau. Vous pouvez cliquez ici pour partager mon goût pour la bizzarerie.

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Petit non-voyage à vélo

Aujourd'hui j'ai pensé à emmener mon appareil-photo avec moi pendant mon petit tour en vélo et voici ma cueillette du jour.

Je suis passée dans un magasin de sports pour faire l'emplette d'un nécessaire à rustines. J'ai farfouillé dans les rayons pour trouver mon bonheur (est-ce que la colle sent toujours la même odeur? ça fait des années que je n'ai pas réparé une chambre à air...) et je suis tombée sur ça, au dos d'un emballage d'un produit censément magique. Si quelqu'un peut m'expliquer...


Sur le chemin du retour, mon regard baguenaudait sur les bords de la piste cyclable quand il s'est posé sur le pied d'un arbre (le machin bleu, c'est le tram qui passe devant la mairie) pour y découvrir...


... une famille de champignons fort beaux ma foi. Des coprins chevelus? Bizarre qu'ils n'aient pas été décapités à coups de pied. C'était amusant de tomber sur une ambiance de sous-bois dans ce petit carré de terre sous un arbre unique.


Arrivée dans ma rue, j'ai enfin pensé à photographier la "nature morte" qui orne la chaussée depuis quelques jours:

Je regrette toujours de ne pas avoir pu filmer cette aile de pigeon qui tenait encore vaguement à la tache desséchée qui avait été un oiseau et qui s'agitait encore quelques instants sous le vent du passage d'une voiture. Un salut, un souvenir, une évocation de vol au ras du bitume.

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vendredi 5 octobre 2007

Correspondance

Pas trop le temps d'écrire en ce moment et un lion en laine feutrée qui résiste, je vais combler ce trou dans mon blog par des extraits du Guide des Convenances, histoire de poursuivre le feuilleton.

Aujourd'hui, je vous fais part des modèles de correspondances pour "différentes circonstances de la vie". Ah, en ce temps-là on savait éduquer les enfants!!!!

Un petit fils à ses grands-parents pour leur souhaiter la bonne année.

"Chers grands-parents,

J'aurais été heureux de pouvoir vous embrasser aujourd'hui en vous offrant mes souhaits de bonne année et de bonne santé, et le gros baiser dont je charge ce papier ne vaudra jamais celui que j'aurais eu tant de plaisir à vous donner moi-même. Merci de vos belles étrennes que maman vient de me remettre; ne pouvant vous faire plaisir que par mon travail, je m'engage à vous donner satisfaction à ce sujet; vous verrez bientôt que votre petit Jacques sait tenir ses promesses.

Je vous embrasse mille fois en vous disant que je vous aime.

Votre petit-fils respectueux,

Jacques."

Un père à la supérieure du couvent au sujet de la conduite de sa fille

"Madame la Supérieure,

Le dernier bulletin de ma fille m'a peiné et étonné à la fois. Son caractère doux et discipliné, sa conduite exemplaire, son travail régulier nous avaient jusqu'ici donné pleine satisfaction.

Je me demande avec anxiété quelle peut être la cause d'un changement aussi rapide, est-ce une question de santé ou l'influence désastreuse d'une compagne?

Je vous prie, Madame la Supérieure, de m'aider de votre expérience et de votre dévouement pour découvrir la cause de cette transformation regrettable et qui m'alarme fort.

Veuillez agréer, Madame la Supérieure, l'expression de mes sentiments très reconnaissants et très respectueux.

J. Martin" (un revenant?)

Vous noterez que le garçon s'engage à bien travailler tandis que la fille, influençable (elle doit fréquenter une camarade parvenue, certainement) ne donne pas toute satisfaction. Ce qui se confirme dans la lettre suivante:

Une fillette en pension à sa mère

"Ma chère maman,

J'ai été bien sensible à la peine que je t'ai causée par mon étourderie; tes reproches si affectueux m'ont fait si bien comprendre comment je manquais à toi et mon cher papa par ma conduite indisciplinée, que je me suis juré d'être toujours bien sage.

J'espère que mon prochain bulletin te montrera la sincérité de mes résolutions.

J'ai reçu ta caisse: le fichu est bien chaud et les grands mouchoirs de toile me serviront pour les rhumes de cet hiver.

J'ai trouvé le sac de friandises; il s'était caché dans un coin, comme s'il avait senti que je ne le méritais pas; j'ai attendu d'avoir été plus sage pour l'ouvrir et le partager avec mes camarades.

Au revoir ma chère maman; embrasse bien fort pour moi mon cher papa, je t'embrasse de tout cœur.

Ta fille respectueuse et qui t'aime bien, Michelle.

Remercie bien Gertrude pour les bons bas qu'elle m'a tricotés."

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samedi 29 septembre 2007

Mise au point du regard

Il est dit qu'il y a différentes sortes de mémoire: auditive, olfactive, visuelle et kinesthésique, cette dernière se reportant grosso modo aux personnes qui font appel à différents sens pour ramener à la surface un renseignement voulu. Je pense que je fais partie du dernier lot puisque je cherche d'abord à retrouver la sensation pour pouvoir dérouler le fil. Lumière, sons, odeurs, chaleur, posture ressentis et re-sentis vont remonter tout d'abord et amener la vision qui sera en quelque sorte l'étiquette ultérieure du souvenir, l'image donc, qui m'aidera plus tard à les organiser dans une sorte de case spéciale "mémoire réactivée".

Cette vision volontaire s'organise elle-même comme une sorte de jeu de mise au point, comme dans le cadre d'une photographie. Le cadrage bien sûr, mais aussi la profondeur de champ. Je continue avec mes photos de jardin. Il s'agit ici d'une photo prise à la va-vite, une branche de lilas, un effet de lumière et de couleurs. Totale banalité mais peu importe, je vais jouer avec cette image.

Dans le premier cas, l'image-souvenir amène une focalisation sur le feuillage, le poudreux sur les feuilles du premier plan par exemple. Traces d'oïdium? Maladie due à une exposition trop ombragée? Sol humide? La feuille éclairée apparaît presque blanche dans sa partie exposée à la lumière. Ça me fait penser à la question que me posait une amie dessinatrice: doit-on traiter la partie éclairée d'un feuillage comme une zone blanche ou d'un jaune très clair? Cette question posée il y a trois ans trouve chez moi une réponse aujourd'hui: il s'agit sur ce document de nuances de gris-violet tandis que le jaune serait utile dans les parties inférieures éclairées par transparence. C'est bon, je vais pouvoir ôter ce post-it du coin de mon cerveau qui stocke les questions sans réponses. Il est déjà assez encombré comme ça.

Cette lumière rasante, ce contraste entre zones sombres et feuille lumineuse, connaissant l'endroit, me donnent des indices: ombre portée du sapin, lumière douce, c'est un matin d'automne, vers 10 h, pendant que le soleil peut encore cheminer entre l'arbre et la façade. Ça signifie grasse matinée, café pris sur les marches, week-end d'amoureux tout neufs, les lilas seront désormais porteurs de cette évocation.

Maintenant, je fais la mise au point sur le fond du jardin, je mets une pause longue pour laisser les informations lumineuses s'accumuler et sur l'image obtenue mon attention se focalise sur la table et les chaises en plastique, obtenant ainsi des informations sur le décor, quittant le domaine du détail. Petit jardin d'une villa de banlieue, souvenir d'un repas pris dehors pendant une soirée, sensation de cette bulle de calme dans le bord de la ville, chauve-souris zigzagant dans le gris du ciel, été se prolongeant encore dans un simulacre de beau temps, vite en profiter, faire les derniers stocks, bientôt le passage à l'heure d'hiver annulera les illusions.

Cette fois, je n'interviens pas sur les réglages et je laisse l'appareil se débrouiller tout seul avec la lumière de l'instant. Résultat, une bouillie.

Mais la mémoire fonctionne comme un célèbre logiciel de retouche d'images et si je pousse les niveaux, si je bidouille, si je force mon attention à recréer les sensations à partir des indices, j'obtiens un résultat où tout est mêlé, premier plan, arrière-plan et souvent les souvenirs ressemblent à ça quand ils ressurgissent en vrac. Granuleux, poussiéreux, confus, pourtant ils ont un charme esthétique auquel cette photo ne rend pas hommage. Ma manière de tout observer, de préparer en quelque sorte mes souvenirs à l'avance en impressionnant sans cesse la surface sensible de mon cerveau induit-elle ma manière de dessiner? Suis-je dans l'hyper attention au détail parce que mon œil et mon cerveau fonctionnent ainsi en permanence? Comment en sortir? Pourquoi en sortir? La presbytie amènera-t-elle un changement dans mon trait? Une sorte d'indulgence anticipée?


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vendredi 28 septembre 2007

L'éventail

Je ne résiste pas au plaisir de livrer à vos yeux ébahis un morceau d'anthologie du Guide des convenances: le passage sur l'éventail. Je le transcris in extenso: on sent que Liselotte est au bord de la pâmoison devant la hardiesse de ses images. Il est vrai que c'est un florilège de clichés sur un certain type de femmes à la fin du 19° siècle…

L'éventail

Non, voyez-vous, il est des choses qu'il vaut mieux ne pas chercher à définir. Ne bondissez-vous pas avec moi devant cette froide précision: L'éventail est un instrument qui sert à agiter l'air?

L'éventail, un instrument!

Il faut ne jamais avoir senti le frémissement de ses fines lamelles s'agitant les unes sur les autres, il faut n'avoir jamais compris comment il vibre à l'unisson de celle qui l'agite en sa petite main nerveuse, pour oser dire que l'éventail est un instrument!

Non, certes non, il mérite mieux. Si j'avais à le définir, moi, je dirais hardiment que c'est un ami. Oui, un ami, et combien sûr et discret!

Que de services il nous rend!

Voyez cette jeune fille toute joyeuse de ses débuts dans le monde, elle est grisée par le bruit, par la musique, par l'éclat des lustres, elle parle, elle s'anime, sa voix domine toutes les autres voix; elle lance un paradoxe, entame une longue histoire et tout à coup, sa voix éclatante résonne trop haut, elle s'arrête, confuse; on la regarde, que faire? Il faut achever le récit commencé et, maintenant que son animation est tombée, elle se sent mal à l'aise. Avec ses bras inertes le long de son corps, elle a l'air d'un conférencier, si elle les agite, n'aura-t-elle pas une allure d'orateur?

Elle déploie son éventail, le balance pour cacher son trouble et se soustraire un peu aux regards qu'elle a attirés. Elle se sent moins seule et son monologue s'achève plus aisément.

Plus loin, voyez cette jolie jeune femme dont l'éclatante beauté soulève partout un murmure flatteur, elle se sait belle, elle en est heureuse, doucement émue; mais, tout à coup, un compliment plus aimable, plus direct, moins attendu, fait monter une rougeur subite à son front nacré. Qui l'aidera à dissimuler cette pourpre qui la gêne si fort? Son éventail.

À côté, voici une femme moins favorisée; sa figure n'a point d'éclat, son esprit n'attire point, elle est à l'écart, est-elle tout à fait seule cependant? Non, son éventail, son fidèle ami lui donne une contenance, lui tient presque compagnie. (Un éventail comme substitut à la cigarette? Pas idiot…)

Attention! Une nouvelle venue s'avance, toute fière de sa toilette à ramages, mais ses rubans criards, ses couleurs heurtées sont du dernier mauvais goût. Un irrésistible fou rire secoue vos épaules, mille remarques mordantes se pressent sur vos lèvres, impossible de les contenir, il faut les communiquer à votre voisine. Mais ne laissez rien voir, c'est la sœur du général et votre mari, qui est capitaine depuis dix ans, attend son avancement. La malice ne perd jamais ses droits et c'est derrière votre éventail, innocent complice, que vous chuchotez bien vite à l'oreille la plus proche toutes vos critiques de femme élégante (bien qu'épouse d'un niais pas fichu de monter en grade depuis dix ans).

La robe à ramages est à côté de vous, il a fallu réprimer le sourire malicieux et maintenant vous êtes condamnée à subir une ennuyeuse conversation sur l'art de faire de la gelée de groseilles en dix minutes, d'utiliser les vieux bas. Quel supplice! Votre esprit s'envole au loin et quand vous n'avez pas entendu le point important, les précautions de la mise en pots par exemple, vous agitez votre éventail pour avoir l'air vivant et son battement rapide tient lieu de réponse. Il écoute et parle pour vous. (Quelle idée aussi de la part de cette femme même pas élégante de parler de sujets tout juste bons pour des domestiques! Quand on porte des rubans criards, on se tait…).

Et même, si vous vous ennuyez assez pour qu'un léger bâillement vienne déformer votre visage, il vous sauvera en dissimulant cette impolitesse qui vous perdrait à jamais, vous et les futurs galons de votre mari.

Après la femme, il n'est point d'être plus nerveux, plus vibrant que l'éventail. Il sait tous les langages, il dira votre émotion, votre impatience, votre ennui. Il saura dire ce que vous n'osez exprimer, c'est un autre vous-même dont les mouvements gracieux, nonchalants ou rapides, suivent les impressions les plus fugitives de votre âme, mais aussi que de choses il saura déguiser!

"Ce qu'on en fait, quand on sait jouer convenablement de cette machine d'Etat, qui pourrait le dire? " s'écrie Jules Janin. Entendez-vous bien, une machine d'Etat? Oui, ces mouvements fébriles, ces mouvements lents, ces suspensions voulues, ces repos adroitement combinés font plus que de montrer la souplesse de votre poignet, la finesse de vos doigts, ils remplacent les discours animés, les phrases timides, ils soulignent les silences éloquents. Ce sont les voltiges d'une diplomatie raffinée. (Dans l'émission "2 000 ans d'histoire" de Patrice Gélinet, sur France Inter, consacrée à l'histoire de la séduction et diffusée il y a quelques jours, il était fait mention effectivement d'un code amoureux utilisant la position de l'éventail, le nombre de branches déployées pour fixer la date d'un rendez-vous par exemple. Hé bé… Un bon texto, c'est quand même plus simple, moi j'dis!)

Tantôt l'éventail se balance avec une nonchalante morbidesse (n. f. XIXe siècle. D'après l'italien morbidezza, « caractère doux, moelleux ».BX-ARTS. Vieilli. Mollesse et délicatesse dans le rendu des chairs. Désigne, par extension, une sorte de grâce alanguie), tantôt il s'agite avec une étourdissante vivacité et tout à coup se referme avec un bruit semblable aux frémissements des ailes d'un oiseau: sa tactique ferait rougir bien des politiciens.

Quel art merveilleux mais aussi quel art difficile (surtout pour de simples femmes)!

Ce n'est point en un jour qu'on arrive à cette perfection dans le jeu de l'éventail; il faut de longues études pour parvenir à diriger l'harmonie de son balancement et l'éloquence de ses mouvements silencieux. Entre les mains d'une parvenue, l'éventail prend des airs de balai ou de plumeau à épousseter et lorsque, avec une trop grande vigueur, elle l'agite en tous sens, elle évoque immédiatement l'image d'une boutique où elle chassait les mouches de l'étal, d'une cuisine où elle activait le feu des fourneaux (au lieu d'apprendre les règles du savoir-vivre… Excusez-moi, je vais vomir et je reviens).

Les éventails ont suivi toutes les modes, imité toutes les époques; ils ont emprunté le pinceau des grands artistes pour les orner ou la main des fées pour les broder de paillettes d'or et d'argent, mais c'est toujours à l'éventail en plumes que sont allées toutes les préférences, à cet éventail qui se déploie avec la gravité pompeuse de l'oiseau de Junon (le paon, donc) et dont le balancement rythmé fait songer au frémissement gracieux des ailes d'oiseau (remarquez, pour un truc en plumes, ça se tient…).


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jeudi 27 septembre 2007

Mémoire sélective

Le fonctionnement du souvenir est un phénomène qui me fascine. Petite déjà, je me souviens de m'être amusée à fixer un souvenir aléatoire. J'étais à l'arrière de la voiture de mes parents, en route pour la Bretagne, et j'avais décidé de stocker dans ma mémoire de façon à pouvoir y avoir accès à tout moment la prochaine image qui me viendrait en ouvrant les yeux. Ce que je fis. Il s'agissait d'un petit chemin entre deux champs de blé et d'un homme qui marchait dessus, s'approchant de la route en poussant un vélo. Une image parfaitement "inutile", accrochée à rien d'autre qu'à la volonté du souvenir, pur exercice de style, mais maintenant encore elle est disponible à volonté même si elle est chaque fois un peu plus altérée par le phénomène de redoublement de la fixation. Toutefois des bribes de sensations restent encore mêlées: celles du déplacement de la voiture, de son odeur, de la présence de mes frères à côté de moi, la notion de vacances et de temps modifié par l'éloignement de l'école. Si je prends ce souvenir pour le dérouler, j'obtiens la silhouette de la 403 Peugeot, sa couleur gris clair et le numéro de la plaque d'immatriculation n'est pas très loin, quelque chose comme gnignigni MZ 38. 853 MZ 38? Le fait d'être assise à l'arrière, côté fenêtre et paysage (privilège de celle qui détenait l'arme de dissuasion la plus efficace: l'explosion de vomi aléatoire), tournée vers la vitre, appuyée sur le rebord de la portière. S'installer à quatre enfants à l'arrière d'une voiture tenait de l'équilibre des puissances et parfois de la guerre froide. Deux grands, deux petits. Les deux grands avaient le privilège de voyager jambes écartées, les petits se tenaient à carreau (oui, j'ai envie de la jouer victime aujourd'hui), les pieds posés sur leurs petites valises bleues en tissu où reposaient les trésors indispensables pour le trajet. Je me souviens aussi de l'idée d'injustice devant le fait que les vitres arrières ne pouvaient pas s'abaisser totalement ce qui m'empêchait de fignoler mon otite en passant la tête par la fenêtre, l'envie d'être adulte pour pouvoir enfin m'asseoir à l'avant (pffff, mon petit frère, lui, en tant que "plus petit" avait le privilège de pouvoir passer devant de temps en temps sur les genoux de notre mère ou celui de se tenir debout entre les sièges pour observer la route et la manière de conduire une voiture, ce qui chamboulait totalement l'usage de la banquette arrière) (je rappelle que je parle d'un temps où la ceinture de sécurité n'existait même pas) (et pas de commentaire sur mon âge, s'il vous plait!). Pendant ces longs trajets jusqu'au lieu des vacances, camping en Bretagne ou en Vendée, deux jours de voiture, nuit à l'hôtel ou sous la tente, avec traversée du Massif Central la grande question qui me taraudait était la suivante: la plage serait-elle de sable ou de galets?

Autrement dit, ce petit bout de souvenir presque artificiel peut maintenant encore me servir d'accroche pour dérouler le fil d'Ariane de la mémoire jusqu'à ramener à la surface des images encore frétillantes.

Dans la-vallée-de-mon-enfance, je m'étais choisi un "arbre à souvenirs", un petit chêne au flanc d'une butte, avec vue sur la ville, hors de portée de voix et de vue. J'allais régulièrement m'installer à son pied pour faire le point sur ce que je pensais être devenue, dresser un état des lieux en quelque sorte. Je lui apportais parfois quelques offrandes, collier de chat disparu, morceau de nid de guêpes, bois flotté ramené de vacances ou je restais simplement là, à goûter le fait d'être en vie à cet instant, toujours en vie au même endroit d'un autre instant, l'impression d'être une étincelle qui se promenait le long d'une ficelle, grignotant la longueur à elle allouée, laissant derrière elle cendres fragiles encore en forme de vie, tant qu'on ne les touche pas d'un doigt trop rude.

Je peux faire une promenade dans le temps et la mémoire avec un accessoire bien moins encombrant qu'un arbre, mais de façon bien plus aléatoire. Il me suffit pour ça de froisser dans la paume de la main un peu d'herbe fraîche et de sentir une première fois l'odeur qui s'en dégage. Une première image viendra instantanément: tout le monde a son souvenir d'herbe coupée, gazon d'école, pelouse des grands-parents, jardin public… Mais ce qui m'émerveille, c'est que si je sens la même touffe d'herbe mais quelques minutes plus tard, alors que la chaleur de la paume s'est communiquée à elle et a exalté une autre composante de son parfum, c'est une tout autre image qui va me sauter aux narines. Et de même quelques instants plus tard, jusqu'à ce que le cerveau soit saturé d'informations ou se mette en boucle en ne ramenant que des images stéréotypées, histoire que je le laisse enfin tranquille avec cette histoire d'odeurs.

Pourtant, que la mémoire est chose fragile et prête à se dérober pour peu qu'on lui demande un exercice qui la sort de ses habitudes. J'ai souvent parcouru ces jours derniers une piste cyclable de la banlieue de ma ville. Trajet que j'effectuais presque quotidiennement quand j'étais étudiante puisqu'il m'amenait vers le campus. À l'époque il ne s'agissait par endroits que d'une simple piste en terre longeant des champs de maïs. 25 km par trajet, quatre fois par jour, pendant trois ans, et je me retrouve maintenant fréquentant les mêmes endroits complètement chamboulés par de grandes opérations foncières et totalement incapable de dire ce qu'il y avait à la place de ces chantiers à un endroit précis. C'était différent, oui, certes, mais encore? Une usine? Un champ? Des villas? Pourtant je pensais que ce trajet s'était inscrit dans mon crâne de façon indélébile…

Et cette personne que j'observe dans la pharmacie? Je connais son visage, il m'est étrangement familier mais je suis incapable de déterminer le réseau auquel je peux le rattacher. Je vois cette personne à intervalles irréguliers, nous avons des rapports courtois, ni plus, ni moins, il s'agit d'un visage que j'ai vu évoluer à travers le temps, je le sais parce qu'il m'apparaît un peu flou, comme recouvert d'une superposition de couches usées. Je connais ce visage mais pas cette posture. De qui peut-il bien s'agir? Ah… Bon… Honte sur moi… Maintenant qu'il est retourné derrière le comptoir, je le reconnais: c'est le pharmacien en personne, dans une officine que je fréquente de temps en temps depuis vingt ans!

Et ce jeune homme qui me dit bonjour dans la rue et à qui je réponds d'un air interloqué, qui est-il? Simplement le fils cadet de la voisine qui, une fois hors du cadre de la maison familiale, se tient différemment à tel point que je ne le reconnais pas.

Comment puis-je farfouiller pendant des heures dans un document pour retrouver les traits d'une personne et en faire son portrait et ne pas être fichue de reconnaître mes voisins?

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mercredi 26 septembre 2007

Journal de non-voyage

Depuis longtemps déjà j'ai envie de tenir un journal de non-voyage.

Parmi mes premières émotions esthétiques, après les chevaux de Lascaux, le lièvre de Dürer, le loup de Marlaguette (collection Histoires du Père Castor) vinrent les carnets de voyage de Delacroix et les oiseaux d'Audubon. Je rêvais d'être dessinatrice embarquée lors d'expéditions de découvertes, exploratrice au long cours. Et… j'habite dans le même appartement depuis 46 ans, je crois que c'est mal parti pour ma vocation de baroudeuse mais l'immobilité n'exclut pas la curiosité ni le goût pour l'observation, fort heureusement! Alors j'observe, tout, tout le temps. Mon exotisme est tout personnel: je pratique l'ethnologie sur les peuplades de la rue, l'éthologie sur mes chats, je regarde passer les saisons sur mes murs et défiler les années par les aménagements successifs des pièces de l'appartement.

Oh, bien sûr, parfois je voyage!!! Je vais même jusqu'à Saint Martin d'Hères (quatre kilomètres de chez moi, les montagnes changent de silhouette, le soleil se couche plus tard, les rues sont organisées différemment, tout un autre monde!) pour une bouffée d'exotisme. Le matin je me pose sur un escalier et je regarde.

Cette feuille morte, pourquoi n'est-elle qu'à demi-desséchée? Une moitié recroquevillée, une moitié encore souple et tachetée de vert. Sénescence partielle? Information qui n'est pas parvenue à l'ensemble des cellules? Quelques points qui ont décidé de faire de la résistance, n'ayant pas eu leur dose d'été, luttant contre une chute trop injuste au moment où le beau temps se rappelle à notre bon souvenir?


Une image amenant souvent un mot, c'est le terme de marcescence qui me vient à l'esprit, celui qui sert à désigner le phénomène par lequel certains arbres conservent leurs feuilles flétries une grande partie de l'hiver. Le charme, dans sa jeunesse, présente cette particularité. J'en avais planté un dans la haie du jardin de mes parents, pour l'anniversaire de mes trente ans. Il a été coupé lorsqu'il a fallu faire place aux engins de terrassement pour la construction de la villa des voisins. Je ne le verrai donc pas grandir; ce bout de jardin défiguré, amputé, abandonné, ne fait plus partie de mon histoire, je n'y ai plus mes jalons.

Je reviens à ce jardin, celui de Saint Martin d'Hères. Levant un peu les yeux des marches de l'escalier, je vois les branches d'un lilas appuyé contre la rambarde. Les bourgeons sont déjà là et me semblent bien avancés, prêts à s'entrouvrir, têtus, quêteurs; s'agit-il d'une éclosion tardive ou des prémices de l'an prochain? Petit serrement de cœur… Verrai-je le retour des prochains feuillages? Chaque année cette même pensée magique qui veut que si j'envisage le pire, il se détournera de ma personne, déçu de ne pouvoir me surprendre. Mais c'est fatigant, il existe tellement de pires à imaginer, et il faut être soigneuse, ne pas trop en oublier au banquet du pessimisme.


Regarder une feuille, juste une feuille, rien que ça, c'est déjà un petit voyage et si en plus un appareil-photo se mêle à la partie, les paysages n'en sont que plus variés! Tout d'abord, que regarder? Le dessous de la feuille? Les nervures qui apparaissent par transparence? Elles ne sont alors pas des creux mais une armature qui crée la feuille. Dessous de jupons, cerceaux de crinoline, secrets en lumière.


Je change de mise au point, maintenant, les nervures sont des creux, lits de rivières; ce qui charme c'est la pulpe de la feuille, ce tissu tendu sur les doigts des nervures. Le mécanisme de l'irrigation ne compte plus, seule la présence du matériau intervient, souplesse, courbe, douceur du vert si beau dans les arbres, aussi importable sur ses vêtements que le bleu du ciel.


Maintenant je joue avec le temps d'exposition et les reliefs s'accentuent. Bout de planète, devenir insecte aux pattes griffues crochues ventousues pour arpenter ce matelas fuyant, explorer les deux faces.


C'est ce qu'à dû faire la grosse punaise verte qui n'a laissé de son passage que cette goutte derrière elle, et même si ce n'est pas de son fait, je me plais à jouer avec l'idée du choc olfactif si l'odeur âcre de cette bestiole était toute entière contenue dans cette si jolie goutte.



Autres jolies sphères ou presque, de la même taille environ, ces deux minuscules escargots collés au crépi du mur. Gouttes de vie, mais perfection à l'inverse de celle de la goutte d'eau. Contours rigides, la sphère leur est acquise. À telle point qu'ils ne cessent de la répéter spire après spire. Où est la bête dans cet orbe transparent? Comment peut-on décemment être aussi petit, à peine plus gros que l'œuf d'où l'on sort et déjà si obstinément construit? (Et pourquoi l'un projette-t-il une ombre translucide et pas l'autre?)



L'araignée a refait sa toile, au même endroit, même association de lignes droites pour une surface courbe, certainement la meilleure façon de réunir ces points d'ancrage. Mais pourquoi a-t-elle une nouvelle fois choisi de ne pas suivre le rebord du bord de la gouttière? Et surtout, pourquoi n'a-t-elle pas attrapé les moustiques qui m'ont piqué pendant la nuit précédant la photo?

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