mardi 23 octobre 2007

Amusement

Jeudi dernier je suis partie montrer mes bestioles en laine feutrée dans deux magasins, celui d'encadrement où j'expose de temps en temps et celui où je me fournis en laine cardée.

Dans le premier, je suis arrivée au moment où Pierre-Yves, le gérant, donnait un cours de patine sur cadre à deux élèves, deux dames d'un certain âge certain. Avec son enthousiasme habituel, en grand communicant, il leur parle de mes dessins et me demande de leur montrer quelques exemples. Je n'en avais pas sur moi (suis-je distraite parfois…) mais je sors de mon caddie (c'est classieux pour transporter ses œuvres, non?) mes têtes-trophées. Une des élèves à l'air particulièrement revêche, visiblement irritée de voir le cours amputé par des bavardages, lève alors un œil de ses travaux et se fend d'un sourire. Ces têtes d'animaux à mi-chemin entre la peluche et le réalisme ont apparemment un certain capital-sympathie, ce qui me fait plaisir car c'était le but. Mais elle a gâché cet instant en prononçant LA phrase:

- "Vous devez bien vous amuser!"

Certaines personnes me trouveront bien irritable et prompte à monter sur mes grands chevaux (pourtant je préfère les poneys…) mais j'ai beaucoup de mal à entendre cette phrase sans y percevoir une nuance de dévalorisation. L'amusement est tellement mal perçu… Il y a derrière ces petits mots l'idée que c'est une occupation qui prend la place d'autres activités plus "sérieuses", des activités de "grands", bref que ce sont des enfantillages de femme oisive. J'ai déjà entendu cette phrase quand je suis occupée devant mon ordinateur à apprendre à maîtriser un nouveau logiciel, quand je fais de la couture, quand j'apprends à relier, et d'autres des activités qui font mon quotidien.

Peut-être que je dois attirer ce genre de remarque, peut-être que je ne fais pas assez sérieuse quand je m'active, que je devrais moi aussi avoir l'air revêche en passant de la peinture marron puis du doré avec le doigt sur un cadre en polystyrène pour lui donner un aspect faux bronze pourtant je ne peux m'empêcher de penser que l'amusement est un moteur essentiel ainsi qu'une forme de politesse.

Après tout, dans "je m'amuse", il y a "muse"… Si "je est un autre", peut-être aussi que "jeu" est ma muse? Et de muse à musarder, il n'y a qu'un pas que j'aime franchir de façon légère.

Une autre phrase qui peut me laisser un goût de malentendu (et après je m'étonne de si mal entendre…), c'est celle qui consiste à me dire que j'ai un don.

Je n'aime pas ce terme et ce qu'il y a derrière. Je crois que j'ai un talent, celui de l'observation et du rendu, doublé d'une certaine obstination. Et ça fait une quarantaine d'années que ce talent je le nourris et le développe. Dans l'idée de don, je trouve qu'il y a une notion d'irresponsabilité, une capacité qui aurait été reçue par un hasard bienveillant et inexplicable et qui impliquerait en retour une gratuité. Comment pourrais-je faire payer mon travail s'il n'est pas considéré comme tel mais comme un amusement basé sur une capacité innée? Je n'aime pas montrer la "sueur", et parfois je me sens en porte-à-faux, piégée par mon propre discours de légèreté, surtout avec ce que je produis qui est à la limite entre art et artisanat. Mais ceci pourrait faire l'objet d'un autre message à développer… une autre fois!

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5 commentaires:

Blogger planeth a dit...

ah la la ,à qui le dis-tu! "c'est bien d'avoir une occupation" , "comme ça vous ne vous ennuyez pas",etc.. etc... madré de dios, faire de l"inutile" n'est pas encore considéré comme indipensable, j'en ai bien peur, as-tu lu le texte de papadeul à ce sujet?
(http://souvenirs-de-routier.over-blog.com/

24 octobre 2007 à 07:01  
Blogger Hélène a dit...

Merci pour le lien vers le texte, très simple, très beau, très juste. Il serait peut-être temps de trouver un autre mot que "travail" qui vient du nom d'un instrument de torture...
J'ai eu d'autres échos de la part d'une cousine éloignée qui peint sur meubles et fait des poupées-fées, elle parle des gens qui n'hésitent pas à venir l'interrompre puisqu'elle a tout le temps!
Petite question subsidiaire, est-ce particulièrement vrai quand il s'agit de créations "féminines"...
Sur ce, je retourne à mes amusements! Bises et à bientôt!

24 octobre 2007 à 07:31  
Blogger planeth a dit...

bien-sûr, as-tu remarqué comme un mec qui se met au bricolage ou au barbec, ça devient tout de suite "du sérieux", enfin il le pense! ;0) bon je vais de ce pas te visiter sur ton nouveau lieu!

25 octobre 2007 à 10:11  
Blogger Hélène a dit...

Et du "sérieux" à respecter et à féliciter sous peine de manquer de reconnaissance... Crime de lèse-majesté s'il en est! Mhhhh, ça me rappelle bien des sujets de dispute passées, ça. Heureusement qu'avec les années, on apprend à en rire (parfois)!

25 octobre 2007 à 10:22  
Anonymous Anonyme a dit...

Souffrez Hélène qu'un convaincu -à fortiori- doublé d'un pratiquant intime et basique -voire forcené!- de la plaisance en toute chose entende parfaitement ce que vous comprenez lorsqu'une tronche revêche vous "rabroue" d'une pseudo considération.
C'est mon lot quotidien, quasiment.
Ayant donc pris conscience du fait horriblement omniprésent, j'ai pour "réflexe militant" de prendre plaisir à déstabiliser les tronches revêches tout aussi "diplomatiquement" qu'elles croient le faire par des retours de bâtons pas piqués des vers.
J'aurais par exemple aimé répondre à ce "Vous devez bien vous amuser" par un "Holà oui! Vous ne pouvez visiblement pas -ne serait-ce que- l'imaginer!"
C'est un côté "franc-tireur sur tout ce qui ne bouge pas" que j'aime cultiver.
Il n'y a aucune bonne raison au monde à laisser le moindre iota de "territoire" aux tronches revêches et tout le plaisir du même monde à le leur prendre à grands coups de sourires pertinents.

Je me suis découvert quelques dons pour plusieurs instruments de musique qu'il m'a suffit de prendre en mains ou en bouche pour que l'air qui me passait par la tête passe également par l'instrument.
C'est trés plaisant.
Et j'en tire autant de plaisir à les partager bénévolement qu'à les échanger contre monnaie trébuchante...
Le terme "don" ne me heurte donc en rien puisque je le rattache simplement à des possibilités qui m'ont été "données" en complément à d'autres que j'ai du "travailler". Voilà tout.

Ne "commercialisons-nous" pas "tous", au mieux ce que nous pouvons, dés que nous le pouvons ?...

J'espère n'allourdir en rien "votre propre discours de légérete"...même si celui-ci peut vous "piéger" parfois, il reste celui qui dit ce qui est pour vous.
Ce qu'en entendent ou non les autres leur appartient.
Bon dimanche Hélène.

11 novembre 2007 à 14:56  

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