mercredi 27 juin 2007

Pluie

Je suis allée tout à l'heure en clopinant chercher des clopes. Oui, bon, je sais, fumer c'est mal, mais il faut bien que je rééduque cette cheville et puis, clopiner et clope, c'est euphonique, donc c'est tout bon.

Cette démonstration étant faite, je voulais parler du temps qu'il fait. Pourri, certes, on pourrait le résumer ainsi mais n'allons pas si vite, car c'est de la pourriture d'été, et on fait un très bon vin avec les raisins touchés par la pourriture noble, alors!

Je sais, j'ai les idées qui partent dans tous les sens, c'est à cause de ma cheville, non pas qu'elle soit le siège préféré de mon intelligence foudroyante mais je l'ai à nouveau molestée hier soir en voulant sauver un minuscule chaton qui se précipitait vers le rebord du balcon. N'écoutant que mon dévouement, je n'ai pas écouté mon entorse et je crois bien que j'ai annulé cinq jours de sagesse et j'ai bien plus mal qu'au début. Cherchez l'erreur! Ou la bêtise…

Je marchais donc, tout en pestant et boitillant, quand au détour d'un jardin une saute de vent frisquet m'a remis en mémoire toutes ces journées d'étés gâchées par un temps maussade. Ces journées que nous passions en bottes en caoutchouc au cas où nous aurions voulu sortir quand même, le frottement du rebord de la botte sur le mollet qui finit par être brûlé puis coupé, les herbes hautes, froides et mouillées, qui frottent les jambes, le dégoût en trouvant ensuite ces minuscules limaces marbrées entre la chaussure et le pied.

La pluie nous rabattait dans ce bout de maison où nous habitions à six dont quatre enfants dans finalement assez peu de mètres carrés. Une chambre pour les parents, une chambre pour les deux grands, une chambre pour les deux petits, chambre qu'il fallait traverser pour atteindre la précédente, une pièce à tout où se tenaient le chauffage, la cuisinière, la grande table avec un banc et des tabourets, le poste de télévision et l'évier, creusé dans l'épaisseur du mur, avec un simple robinet d'eau froide. C'était succinct mais ça nous convenait parfaitement, du moins à nous les enfants. D'autant plus que si la maison était petite, elle présentait l'avantage ineffable d'être un ancien bout de corps de ferme et donc, face à elle, sous le même toit, se trouvaient un vieux four à pain au plafond effondré, deux cabanes (anciennement soue à cochons et écurie à chèvres sans doute) et un cagibi qui devait servir de poulailler. Autant dire que nous devions passer autant de temps dans ces cabanes que dans la maison! En grandissant les aînés ont investi la cave puis le grenier de la maison, laissant à nous les petits l'usage de ce qui devenait nos vrais lieux à nous, espaces privés où nous pouvions laisser libre cours à nos envies d'organisation.

Rebuts de bricolages, vieux tissus, chutes de bouts de bois, tout nous était bon pour aménager nos cabanes où nous rangions nos trésors divers et parfois avariés. Le chic du chic était de pouvoir mettre un crochet pour fermer les grosses portes en bois vermoulu. Enfin un chez soi! Un "cric-crac" pour reprendre notre terminologie enfantine qui servait à désigner un coin imaginaire où nous ne pouvions plus être atteints en cas de bagarre. Un peu comme "pouce" ou "quine" (pour ceux qui connaissent) mais avec une petite notion en plus, c'était une manière à peu près élégante de mettre fin au combat mais avec l'idée que nous y retournerions une fois le souffle recouvré. Un bouton "pause" en quelque sorte.

Le soir avant de nous endormir, nous discutions mon petit frère et moi de nos projets d'aménagement des cabanes et je me souviens qu'un matin je l'ai vu revenir dans la chambre avec la cuisse brûlée: il était passé à travers le trou dans le plancher du poulailler, au dessus de ma cabane et la peau était toute rougie par le frottement du ciment. Il a fini plus tard par aménager complètement ce poulailler pour s'en faire une vraie chambre à lui, en ajoutant une cloison, posant une porte, des vitres, des lambris. Le luxe!

De mon côté j'avais investi le grenier, avec un lit remisé dans ce fourre-tout, une table, des étagères en planches posées en travers d'un escabeau. J'accrochais mes mobiles faits de bric et de broc et surtout de n'importe quoi aux poutres, j'ai même installé un hamac crocheté de mes blanches mains avec de la ficelle. Et bien, je peux vous dire que j'avais dû mal choisir la ficelle car à mon premier essai, le hamac a craqué sous moi et je me suis retrouvée par-terre, interloquée et douloureusement surprise!

C'était un grenier sous un demi-toit en pente, avec deux fenêtres au ras du sol, plutôt que des fenêtre de simples ouvertures qui donnaient directement sur la façade, sans vitre ni appui, au dessus d'un vide relativement important puisque ça représentait un troisième étage (le décrochement amenant à la cave, le rez-de-chaussée, l'étage puis le grenier). Fermé sur deux côtés par les murs de séparation avec les maisons mitoyennes, la dernière paroi était constituée d'un muret de pierres puis de grandes planches espacées. Autant dire que cette "chambre" était ouverte à tous les vents et à tous les bruits.

J'y ai dormi parfois et c'était une expérience étonnante que celle d'être à la fois dehors et dedans. Sous un toit certes mais sans le côté cocon rassurant que peut présenter une tente (sauf en cas d'orage…). Les bruits du bois qui craquent, les chats en maraude qui viennent réinvestir leur terrain de chasse nocturne, les hululements des chouettes dans la forêt proche et surtout ce cri que pousse un oiseau inconnu, peut-être un engoulevent, cri déchirant qui réveille en sursaut avec le cœur qui bat la chamade et la certitude soudaine d'être mortel.

Ces longues, interminables périodes de pluie étaient aussi l'occasion de partir à la chasse aux escargots, les gros dits de Bourgogne. Nous en ramassions ainsi au petit matin ou en début de soirée des quantités assez considérables que nous donnions ensuite au père d'un copain qui savait les préparer. Pour nous, les escargots ça ne se mangeait que début juin, lors du repas d'anniversaire de notre grand-père, avec la sauce au beurre, ail et persil, pendant ces interminables agapes d'adultes où je m'ennuyais à cent sous de l'heure, hermétique encore aux plaisirs des discussions pendant un apéritif sans fin.


La pluie, c'était aussi l'occasion de jouer à l'école dans cette pièce toujours fermée de la ferme où trônait un énorme meuble en bois verni, sombre, funéraire, état neuf, meuble d'apparat pour une pièce inutilisée ou plutôt dans laquelle étaient stockés des habits en vrac, des corbeilles débordantes de médicaments et je ne sais plus quoi. Dans un angle démarrait cet étrange second escalier, parallèle à celui du couloir, qui menait dans ce qui s'appelait la chambre du blé et qui était auparavant la chambre de la grand-mère. Pourquoi deux escaliers dans cette maison? Encore un de ces mystères que nous ne cherchions pas à résoudre. C'était comme ça, un point c'est tout, connaître les coins à escargots était bien plus important!

(et pour illustrer ce propos, un dessin aux crayons de couleurs, exhumé pendant mes explorations d'archives pour mon site...)

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2 commentaires:

Anonymous Anonyme a dit...

Toute l'odeur de la poussière remonte à mes narines en lisant ton passage sur le grenier. Je ne sais pas si je ne vais pas éternuer.

27 juin 2007 à 22:32  
Blogger Hélène a dit...

Justement, au moment où j'ai publié ce post je me suis dit que, flûte et crotte de bique, je n'avais pas parlé de l'odeur du grenier! C'était un mélange spécial, entre poussière accumulée, crottes de souris, pipis de chats, vieux livres, soleil qui tape sur les tuiles plus l'odeur du foin de la grange juste à côté (et l'écurie des vaches et le fumier et le lisier des poules), bref, une odeur. On avait l'impression de pouvoir la palper, celle-là.

28 juin 2007 à 05:26  

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