mercredi 20 juin 2007

Les châtaigniers

Amusant: ce week-end je parlais avec une amie des arbres, de leur présence, de notre rapport à eux. C'était au bord du lac Léman, à Thonon, et elle me montrait des parcs somptueux mais mon regard se portait toujours sur les châtaigniers des bords de route, d'autant plus qu'ils étaient en fleurs et que cette odeur est envoûtante. Ce qui est amusant donc c'est que de retour chez moi je feuillette une revue pour gonzesses (ben oui, c'est mon péché mignon, une excellente lecture de fond de couloir, si vous voyez ce que je veux dire), j'ai ainsi appris que mon arbre dédié est justement le châtaignier. Comme quoi, ils ne disent pas que des bêtises! Si? Ah bon…

Ces arbres, c'est toute mon enfance, ils font partie de ma trilogie arborée avec les charmes et les noisetiers. Tout d'abord, c'est un arbre prodigue, on peut jouer avec ses feuilles d'un vert magnifique, un vert juste vert, pas jaunasse, pas délavé, un vert total. Si vous pincez l'intervalle entre deux nervures et que vous tirez, vous obtenez un accordéon de… comment appelle-t-on ça? Un accordéon de matière de feuille, et il reste les nervures. Vous avez ainsi obtenu au choix: des arêtes de poisson (pratique pour jouer à la dînette), un peigne mou (pas pratique du tout par contre), un outil à faire des guilis sur les bras. Merveilleux, non?

Ensuite, il y a les fleurs, à l'odeur déjà évoquée. Elles ne sont pas belles, des grappes d'inflorescence verdâtres, pas de quoi s'extasier à les voir de près, mais quand elles forment une houppe au sommet des branches qu'elles couronnent de clair, c'est autre chose! On repère ainsi de loin tous les châtaigniers dans les talus et les forêts.

Il y a aussi les fruits, bien sûr… Il faut attraper le coup de main ou plutôt le coup de pied pour ouvrir les bogues sans les toucher. On en cale une sous le pied maladroit et de l'autre, le plus dégourdi, on applique une pression pour ouvrir le "hérisson". Il faut évidemment tout d'abord le placer de la façon adéquate, avec la couture sur le dessus. Et là, c'est toujours un émerveillement de voir apparaître les trois fruits, le beau et ses deux compagnons tordus. Leur couleur est tellement parfaite, riche, soutenue, la peau tendue sous la pression de la maturité, les petites stries plus claires pour éviter la monotonie. Et puis c'est un fruit solide, que l'on peut garder sans qu'il s'abîme pendant un certain temps. Pas un fruit déprimant comme ceux qui se talent tout de suite, demandent à être transportés avec des précautions de jeune mariée. Non, du vrai fruit pour gamins, du fruit de chapardage, du fruit à garder au fond des poches. D'ailleurs, je me souviens que quand j'étais petite, un bon pantalon était un pantalon aux poches multiples et pratiques. Peu importait qu'il soit à la mode, moulant ici, flou ailleurs, l'idéal était qu'il permette d'emmener avec soi, y compris dans nos escalades arboricoles, des noisettes, des noix, des châtaignes et un couteau, sans les déverser au premier geste.

Il y avait aussi ce qu'on appelait les "bobues". Ce sont ces fruits "regrignés", au derrière pincé, souvent mal coloriées, blanchâtres, et au goût inintéressant. Celles-là, je les donnais au poney. À la fin de la récolte, les bogues étaient rassemblées en un grand tas et brûlées dans un grand feu. C'est sur le bord de ces cercles noircis que l'on trouvait à la Pentecôte les asperges sauvages que je mangeais crues en me forçant à ignorer qu'elles étaient souvent infestées de toutes petites bestioles rouges, des larves de je ne sais quels insectes. Bah, ça rajoutait des protéines…!

À l'automne, j'aimais me promener seule avec les chiens avec, au fond de la poche de l'anorak, un stock de châtaignes bouillies, encore chaudes de préférence. En appuyant avec les dents sur la base plus tendre, on pouvait les "décapsuler" et en grignoter l'intérieur comme une pâte.

Nous n'étions pas les seuls à apprécier ces fruits d'automne et les "gens de la vallée" avaient eux aussi repérés ces énormes châtaigniers. C'était à chaque automne l'occasion d'une guéguerre parfois source d'invectives. En effet, les châtaignes tombées sur la route sont libres d'accès pour tout le monde, c'est la loi (réelle ou coutumière? Je ne sais pas) mais ces intrus culottés n'hésitaient pas à venir les ramasser dans les champs privés et à grands renforts de sac à patates!!! Et là, ce n'était plus tolérable car elles étaient la propriété des fermiers et une source de revenus pour eux, c'était donc du vol pur et simple. Aller le faire remarquer aux maraudeurs était souvent le meilleur moyen de se faire insulter. Je me souviens qu'une fois nous avons attendus qu'ils se soient un peu éloignés de leur sac pour aller le chiper à notre tour et ils n'ont pas osé venir le récupérer dans la cour de la ferme… Bien fait!

Tout ceci ne nous aidait pas à voir d'un bon œil l'intrusion de ces "étrangers", ça et les remarques condescendantes, sans parler des poules, des chiens ou des chats écrasés. Mais ça m'a rendue tout aussi réticente à la notion de tourisme, que ce soit dans un pays étranger ou dans les campagnes françaises, je suis mal à l'aise dans un endroit dont je ne connais pas les us et coutumes, j'ai toujours peur de faire une gaffe, d'être grossière et illégitime dans mes comportements. Et finalement, après une enfance plutôt campagnarde, je me sens presque mieux à la ville où je ne me pose pas ce genre de questions.

Les châtaigniers, c'était aussi ces troncs énormes, noueux, penchés, cette écorce crevassée qui rendait leur escalade relativement aisée. Je parle là des très vieux arbres qu'il y avait autour du hameau. L'un d'eux est même sensé dater d'Henri IV, c'est vous dire… Je vous montre les photos où on voit ma fille devant et sur l'arbre. Comment ne pas se sentir protégée par une telle masse de bois et de feuillage?!?



Quand plusieurs de ces arbres centenaires ont été abattus pour faire place à une maison individuelle, j'en ai conçu un vrai chagrin, j'assistai au massacre au bulldozer depuis le grenier de la maison de mes parents, j'entends encore le grincement déchirant du bois qui cédait, c'était leur fin et la fin d'un de nos terrains de jeux favoris, celui où étaient entreposés les chars à foin, où nous avions fait une cabane adossée à un tronc, le pré où nous organisions nos tours de vélo, le début de la fin de l'enfance aussi.

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