mardi 19 juin 2007

Le Ruisseau

Le hameau où nous habitions était distant d'une paire de kilomètres du village proprement dit. Enfin, disons plutôt du regroupement un peu plus important de maisons autour de l'église, de l'école et de deux cafés-restaurants. Le reste des maisons est réparti en hameaux plus ou moins importants le long de la vallée étroite où coule le Tenaison.

De temps en temps nous allions au Ruisseau. Nous ne l'appelions pas par son nom, après tout, il n'y en avait pas d'autres alors à quoi bon se casser la tête... S'agissait-il d'un ruisseau? D'un torrent? Disons un petit torrent de basse montagne au fond d'un ravin, très ombragé, avec ses deux rives parcourues par des chemins de pêcheurs. Je ne connais qu'un seul itinéraire pour y accéder, je sais qu'il en existe un autre qui part sous l'église et qui aboutit à un pont à partir duquel on peut remonter sur l'autre versant et aborder le village voisin (et rival, bien sûr) mais je ne l'ai jamais pris. En fait nous vivions vraiment en vase clos, assez cantonnés aux terrains de "notre" hameau. Il n'y avait pas beaucoup d'enfants de notre âge et je ne connaissais pas les amies d'école de mes copines. Bref, tout nouveau chemin prenait des allures de découverte richissime.

Pour accéder au torrent, il fallait passer près de la maison des S. et c'était déjà un goût d'aventure, car pour de sombres raisons que je n'ai jamais cherché à éclaircir, il faisait partie des ennemis. Je dis "il" car je n'ai aucun souvenir de sa femme, mais lui était vraiment désagréable. Il nous faisait des réflexions quand nous passions en vélo devant chez lui et quand nous avons atteint l'âge de faire des fêtes entre copains, il venait espionner dans les buissons et rapportait ensuite des propos extravagants sur nos habitudes de consommation et nos mœurs, il était même allé jusqu'à déposer une plainte pour tapage nocturne (précisons qu'il habitait à presque 300 m du hameau, il devait avoir l'ouie fine!). Il fallait donc longer sa clôture de la démarche assurée de celles qui savent où elles vont et qu'elles sont dans leur bon droit. Ce n'était pas évident car cela signifiait dans les faits entrer dans un buisson de ronces pour retrouver la partie mieux tracée du chemin… Et quand je dis "chemin", je devrais plutôt dire sente, un vague tracé où la terre glaiseuse était un peu plus tassée, où l'herbe et la mousse poussaient moins drues. Parfois le tracé disparaissait et il fallait savoir qu'en traversant la ravine en biais on pouvait le retrouver plus loin mais Martine nous servait de guide et elle avait l'habitude d'accompagner son père dans ses déambulations de chasseur.

La pente était raide et ça explique que nous n'y allions pas très souvent, la remontée était ardue et notre flemme parfois conséquente. Nous finissions par déboucher sur le ruisseau. Oh, il n'était pas bien large, deux mètres? Trois mètres? Et il était facile de le traverser de rochers en rochers. Toutefois, il était possible de se baigner dans certains creux et même de nager sur quelques mètres. Il fallait en avoir très envie car sa température devait avoisiner les dix degrés et le soleil était rare à travers les frondaisons mais c'était quand même une fête. L'eau courante rend toujours joyeux, rêveur mais joyeux. Du moins ça me fait cet effet-là…

Je me souviens avoir passé un long moment immobile sur une grosse roche de la rive, allongée. Immobile à tel point qu'une souris est venue emprunter son itinéraire habituel et m'a tranquillement franchie comme un tas de mousse un peu plus conséquent que d'habitude. J'ai été vexée, autant le dire carrément…

Là où la rive était en pente douce, ménageant ainsi de minuscules plages, on pouvait voir sur le fond ces intrigantes constructions des larves de phrygane, des petits tubes faits de matériaux divers, coquilles, débris ligneux, pailles rouies, ou simples fourreaux semblables à du cuir mouillé. Ça m'intriguait au plus haut point. Il était visible que c'était le fait d'un animal, il y en avait trop pour que ce soit un simple amoncellement dû au courant et avec beaucoup de patience, je pouvais voir qu'ils se déplaçaient sur le fond. J'en ai attrapé quelques uns mais les bestioles qui les habitaient avaient dû fuir pendant que je les sortais de l'eau et je n'ai à l'époque pas pu résoudre ce mystère. C'est plus tard, en lisant les souvenirs entomologiques de Jean-Henri Fabre que ma curiosité a été satisfaite et encore plus tard, en entendant parler des œuvres de Hubert Duprat (vous pouvez cliquer sur son nom pour en savoir plus) que j'ai encore plus apprécié l'ingéniosité du travail de bâtisseur de ces larves d'éphémères.



À l'époque on pouvait aussi trouver sur les berges du ruisseau des cincles plongeurs, sortes de merles qui arrivent à marcher sous l'eau pour capturer des insectes et autres bestioles, mais je n'en ai jamais vus, ils sont trop timides et nous étions trop bruyantes pour une telle approche. La présence de ces larves et de ces oiseaux signifiait que l'eau était pure. Maintenant je ne sais pas ce qu'il en est avec la densité de la population qui est allée croissante. Pourtant à l'époque je ne pense pas qu'il y avait beaucoup d'efforts d'épuration des déchets…

Une autre rencontre, ou presque, animalière a eu lieu sur le chemin du retour. Je marchais en avant du groupe et j'ai trouvé sur le chemin une queue d'écureuil. Toute seule si je puis dire… Un abandon par un prédateur dérangé par notre arrivée? En tous cas je l'ai ramassée, elle était encore souple, douce et je l'ai longtemps portée en pendentif. D'un goût douteux, certes, mais c'était pour moi un gri-gri qui me permettait de garder une présence de ma vie dans cette vallée alors que j'étais en cours à Grenoble.

Maintenant que j'y pense, je ne me souviens pas avoir vu d'écureuils en liberté dans les arbres autour du hameau. Ils n'apparaissaient en quelque sorte que comme "fruits d'automne", jetés négligemment sur la table de la ferme par des chasseurs qui ne voulaient pas revenir bredouilles. Autant dire que ces personnes ne m'étaient guère sympathiques et que je refusais obstinément de leur dire bonjour, avec l'entêtement dont sont capables les enfants et même les adolescents et dont j'étais largement pourvue. (Certaines mauvaises langues diront peut-être que j'ai de beaux restes dans ce domaine…!)

Est-ce que je saurais encore retrouver ce chemin dans le fouillis des ronces? Il faudrait que j'essaie, même si je n'ai plus les mollets de mes quinze ans pour la remontée abrupte!

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