jeudi 24 mai 2007

Les vaches (bis)

Aujourd'hui, je me repose puisque le message d'aujourd'hui consiste en un texte écrit il y a quelques années par ma mère sur ce thème des vaches.

Même thème, même vallée et presque les mêmes enfances. Les trente années qui les séparèrent n'avaient pas encore apporté de changement énormes dans le mode de vie ni dans l'aspect de la vallée. Les trente qui suivirent ont complètement modifié le tissu social et l'habitat, mes filles n'auraient pas pu y vivre les mêmes enfances, la même liberté d'aller et venir, la même participation à une vie de village. Elles ont vécu autre chose, elles auront d'autres souvenirs...



Il y avait la Jouille, la Gaillarde, la Rose et la Marquise. Les vaches se succédaient de temps en temps mais c'était toujours le même lot de noms. Quand on leur donnait un ordre, on disait "Jouille-neu!", "Gaillarde-neu!". C'était comme ça, je ne demandais pas pourquoi. Les P. n'ont jamais possédé plus de quatre vaches. La plupart du temps, il y en avait trois. Des vaches d'une variété dite "de Villard de Lans", au poil clair beige-rosé, paisibles, solides, dures au travail, sans surprise. C'était le bien le plus précieux des fermiers de la vallée: elles donnaient du lait, des veaux et effectuaient tous les travaux agricoles. Elles tiraient les lourds chariots de bois aux roues cerclées de fer. À l'arrière du chariot, on "serrait la mécanique" dans les descentes, on desserrait bien sûr dans les montées. La "mécanique" était en fait l'un des seuls outils mécaniques de la ferme.

Les pauvres vaches charriaient de lourds voyages de foin qu'il fallait parfois maintenir avec des fourches dans les tournants lors de la descente. D'autres fois, c'étaient les gros troncs d'épicéas qu'elles ramenaient de la Charmette. Toujours fatalistes, régulières, les vaches ne demandaient rien, que de boire un peu d'eau au bassin du village. Et même, elles connaissaient la route par cœur, lorsque le chariot était vide, nous nous asseyons à l'arrière et les vaches allaient toutes seules, sachant très bien où tourner pour rentrer chez elles. Elles tiraient la charrue, la herse, les tombereaux. Combien étaient précieuses les vaches!

Je me souviens du cérémonial de l'attelage des vaches. Les deux bêtes étaient sorties de l'écurie, rangées bien côte à côte, puis on emboîtait le joug de bois sur leur encolure. Chaque lanière de cuir, chaque taquet de bois avait son nom. Il fallait serrer les liens, mais pas trop, placer le coussinet de cuir sur le front de la vache, poser le timon, glisser le morceau de bois dans le trou pour maintenir l'attache, etc. Je regardais les mouvements synchrones des deux "atteleurs".

J'ai eu une copine vache: la Petite Gaillarde. On l'avait eu toute jeunette et elle, elle avait une personnalité, elle n'était pas docile-docile. Elle était marron clair, un peu comme une Tarine, avec de beaux yeux humides. Elle adorait me lécher les bras et les jambes et venait me rendre visite lorsque nous allions "en champ". Sa langue râpeuse appréciait la saveur salée de la sueur et… la crasse du jour ne l'incommodait pas. Bref, nous nous aimions bien. Puis, elle est devenue "taurelle", c'est-à-dire méchante et incontrôlable et a fini par casser la jambe de Mémène. Elle a disparu.

La Vieille Gaillarde était plus sereine, quoique amatrice de sueur salée, elle aussi. Un jour, à la Grand-Côte, alors que je lisais avec ardeur je ne sais quel livre, elle est venue derrière moi sans bruit et m'a donné un grand coup de langue dans le cou! J'entends encore le bruit de l'herbe arrachée par les coups de langue des vaches. Cratch-cratch.

La Parise avait une corne tournée vers le haut et l'autre vers le bas. C'est sur son dos que je suis remontée de la Monta, Yvonne m'avait hissée là-haut, j'avais dix ans et une robe à carreaux bleus et blancs toute propre. En arrivant, j'avais l'intérieur des jambes marron comme si la vache avait déteint et ma robe ne valait guère mieux. Et puis, ça n'était pas très confortable, le dos d'une vache. Toujours ces sacrées colonnes vertébrales!

Enfin, l'un des plus grands charmes des vaches, c'était qu'elles nous obligeaient à aller "en-champ-les-vaches". Et là, avec Mémène, nous avions nos terrains de jeux. Chaque pré avait sa spécialité, on n'avait pas les mêmes jeux à la Grand-Côte qu'à la Plan ou aux Essarts. Mais c'est une autre histoire!

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2 commentaires:

Blogger planeth a dit...

c'est drôle cet écho de la voix de l'une dans la voix de l'autre, des mots de l'une dans les mots de l'autre, il y a une parenté très forte, c'est émouvant.

24 mai 2007 à 19:26  
Blogger Hélène a dit...

Demain, je mettrai la suite, celle où elle parle des jeux "en champ les vaches" et il faudra que je continue à la harceler pour qu'elle en écrive d'autres!

24 mai 2007 à 19:49  

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