jeudi 26 avril 2007

Image et deuil




Il s'agit à ma connaissance de la seule photo du frère de mon grand-père maternel: Charles L., mort fauché par un obus le 17 juillet 1917, à 21 ans. Ma mère m'a confié cette photo lorsque j'ai réalisé un "livre de deuil" suite au décès de son cousin Charles, prénommé ainsi en mémoire de son oncle.

Je ne connaissais que le portrait que je croisais sans cesse dans le couloir de la maison familiale, sans jamais me poser la question de l'identité de la personne représentée. Un photomontage réalisé après sa mort, le figeant dans l'image d'un soldat "propre sur lui", portant sa médaille posthume, sanglé dans un uniforme impeccable. C'est peut-être cet aspect d'image d'Epinal qui m'a empêché de vraiment intégrer le fait qu'il s'agissait d'une personne réelle et d'un aspect de l'histoire familiale relativement proche.

Quand j'ai vu la photo de départ, cette toute petite photo d'identité, j'ai mieux compris le chagrin de ses frères et sœurs qui ont décidé de baptiser de son prénom chaque garçon aîné qui naîtrait dans leurs familles respectives (il y eut ainsi deux autres Charles). J'ai vu un homme jeune, au regard triste, à la posture penchée, engoncé dans un uniforme qui semble trop grand. Rien à voir avec l'attitude martiale du photomontage… Quelle image valait-il mieux garder de lui? Celle du "jeune homme mort pour rien" ou celle du "soldat mort pour la patrie"?

Le portrait est un mélange entre une partie photographique (le visage) et un dessin rapide (simple esquisse de costume). Un mélange entre une réalité et une imagerie. Je crois que ça me pose toutes les questions que je retrouve quand je travaille autour des images d'une personne décédée: faut-il alimenter une légende ou rester proche d'une vérité? Fait-on cette démarche pour apaiser le chagrin des personnes en deuil ou pour garder trace de la complexité de la personne disparue?

Je ne crois pas qu'il y aie de réponse simple à cette question, pourtant je sais que cette photo "brute" d'un jeune homme qui ne regarde pas l'objectif, qui semble détaché de ce que l'on va faire de lui (oui, je me raconte des histoires…) m'a beaucoup plus émue que ce portrait figé. D'un côté l'image d'une vie anéantie par un obus, de l'autre l'image du chagrin d'une famille.

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