vendredi 4 mai 2007

Les chars

Par "char", j'entends "char à foin", on est bien loin de Ben-Hur et des foules en délire! Dans ce cas il s'agirait plutôt de calme, de tranquillité et le plus souvent de la plus totale immobilité de l'objet en question. Bref, un char c'est un char.

C'est fait d'un grand plateau de bois, à claires-voies parfois, long de six mètres à peu près, large de deux mètres, à vue de souvenirs, convexe vu du dessus, surbaissé devant, avec des ridelles aux deux extrémités pour maintenir le chargement, un timon pour accrocher au tracteur (autrefois pour atteler les vaches), avec des roues en bois cerclées de fer pour les plus anciens.

Tels étaient les chars de mon enfance. De grandes structures idéales pour nos jeux de filles. Ils étaient entreposés dans la grange à foin ou sous les châtaigniers. La grange à foin, c'était un endroit sérieux, que je ne traversais que rarement, peut-être l'endroit le plus symbolique du labeur de la ferme. Donner à manger aux poules, aux lapins, garder les vaches, tout ceci ressortissait du jeu à mes yeux de citadine, campagnarde en pointillés. Mais les foins, c'était le cœur même du travail de paysan. Il ne fallait pas marcher dans l'herbe haute pour ne pas la coucher et gêner le passage de la faucheuse. Le respect du foin commençait là. Pourtant c'est tentant un joli pré en fleurs dont l'herbe vous chatouille les genoux, c'est frais et bruissant, il y a toujours une scabieuse un peu plus loin, une centaurée qui vous nargue, ou même un œillet des Chartreux qui vous fait un clin d'œil tout rose. Mais à partir de fin mai, les champs sont devenus un espace rétréci, qu'on ne parcourt que sur les traces des roues du tracteur. Pour ménager le foin futur.

Quand les chars étaient inutilisés et entreposés sous les arbres, ils devenaient nos lieux de prédilection pour jouer à la dînette, ou pour simplement s'asseoir et discuter, jouer à tout et à rien. Souvent à rien d'ailleurs. Les montants étaient peints de ce qu'on appelle le "bleu charrette". Ou avaient été peints il y a longtemps. Et sur l'espèce de moyeu horizontal autour duquel on attachait les cordes destinées à maintenir le chargement, il y avait parfois des traces vertes de ce produit toxique dont on pulvérisait les vignes (sulfate de cuivre?). On savait qu'il ne fallait pas y toucher, pas plus qu'aux baies rouges et je me sentais un peu fière de côtoyer un tel risque et de le juguler par ma prudence et mon savoir. Fierté d'enfant…

Je n'ai jamais su combien il y avait de chars, deux, trois, quatre? Ils étaient peut-être prêtés de ferme en ferme, selon les besoins. Je me souviens qu'il y en avait un particulièrement surbaissé à l'avant, à claires-voies très espacées, peu pratique pour jouer et courir dessus, un peu étroit, aux roues en bois cerclées de fer. Il y en avait un plus large, à la surface pleine, plus haut aussi, idéal pour les jeux dans lesquels nous étions des mères de famille organisant notre vie de futures femmes d'intérieur, épouses accomplies et cuisinières émérites. Nous faisions cuire des feuilles de noisetiers et de châtaignier. J'ai dû en rester à ce stade car je ne suis devenue rien de tout ça, je prends toujours la vie de femme d'intérieur comme un jeu qui ne m'amuse guère plus de cinq minutes…!

Quand nous allions faire les foins, à l'aller nous restions assises sur le char vide, les jambes ballantes pour avoir un peu peur de tomber quand le chemin était par trop cahoteux et que toute la carcasse était secouée, au retour cramponnées sur le timon, dans la "bonne" odeur d'essence du pot d'échappement du tracteur mêlée à celle du foin, sur le chargement quand il était bas. Ça allait tout doucement, à la vitesse d'un tracteur dans une côte, dans un chemin étroit, ou même dans ma toute petite enfance aux pas des vaches. J'avais le temps d'attraper des feuilles au passage, d'être tentée de descendre pour aller plus vite que l'attelage mais en même temps j'avais envie de profiter de cet instant, d'être dans ce que je percevais comme un rite. Maintenant encore, l'odeur de gazon coupé et d'essence de tondeuse me ramène à cette époque de mon enfance, un morceau d'enfance dans la ville.

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