lundi 9 avril 2007

Le temps des oiseaux

Sur mon vélo, je parcours mon trajet quotidien. J'entends cet oiseau chanter, quelque part dans un jardin invisible et immédiatement le temps change de texture, il se feuillette et j'en perçois simultanément les couches superposées. Cet oiseau chante, un petit chant de rien du tout pour dire que c'est le printemps, qu'il est là et que c'est chez lui. Par ce simple chant il redéfinit l'espace de la rue de façon différente car ses frontières ne sont pas les nôtres, bornées non pas par les quadrilatères des rues mais par un arbre, un rebord de fenêtre. Que sais-je? En tous cas j'imagine et cette gymnastique d'imagination me replonge dans une succession de sensations et de souvenirs.

Je suis dans le jardin potager, chez mes parents, et je bêche. Jardiner est propice à la rêverie, quand le dos est trop noué, je me redresse et m'appuie sur le manche de cette vieille bêche qui appartenait à mon grand-père, je regarde le jardin autour de moi et je scrute les progrès de mes plantations, j'anticipe sur leur devenir, je constate les heurs et malheurs de mes choix. Trop d'ombre sous cet arbre pour cet arbuste ! Cette plante-là aurait bien besoin d'être taillée ! Je me sens bien, enracinée dans l'histoire de ce petit bout de terrain et multipliée dans la projection de ce que deviendra ce potager. En équilibre. Ma fille aînée est toute petite, tout petit bébé et je passe beaucoup de temps chez mes parents avec elle. Il m'apparaît important que ça se passe ainsi, dans une continuité et une diversité affective. Et je bêche cette terre lourde, argileuse et ingrate, pleine d'espoir pour en faire un jardin pour mes enfants, un jardin avec de l'herbe, des cabanes, un petit bassin pour regarder les poissons rouges et tremper les pieds, un banc pour rêvasser, des framboises, des fraises, des groseilles et du cassis pour le plaisir de la recherche. Un cassissier pour faire le lien avec cette photo où la petite fille que j'étais à deux ans picorait dans le buisson. L'odeur des feuilles de cassis froissées… Intacte !

C'est le printemps et les oiseaux signalent leurs décisions irrévocables de revendication. C'est leur jardin ! Et je les gêne. Ils ont bien repéré ces gros vers blancs que j'ai rejetés sur l'allée en ciment, ces vers blancs qui ont fait dépérir le romarin et la lavande en grignotant leurs racines. Ils les tentent mais ma présence est un obstacle. Je n'ai pas réussi à me réinscrire dans la légende familiale qui veut que mon grand-père "connaissait" un rouge-gorge si familier qu'il venait se poser sur sa bêche, cette même bêche que j'utilise alors. Aussi je préfère m'éloigner, le temps de franchir la porte en fer rouillé du jardin, de regarder d'autres plantes, de boire un verre d'eau et quand je reviens, l'allée est nettoyée de toute larve, de tout asticot! Et les chants ont repris. J'arrive à reconnaître le cri du rouge-gorge, du rouge-queue, de la mésange charbonnière. Ce n'est pas grand-chose mais ça me suffit pour mettre des images sur le son. À les entendre ainsi, je sors des limites du jardin encore potager, je me sens inscrite dans un espace plus grand, qui va jusqu'au ruisseau dont j'entends la chansonnette quand il a plu, plus loin que les maisons qui nous entourent, les jardins sont fondus en un seul espace et je ressens la présence des arbres, des montagnes, de la terre, je me déplie.

Il y a l'espace des pies, la ligne de grands frênes au bord de l'eau, avec leurs nids de branche et leur air si hautain, indifférent et un peu narquois, et leur sale manie de ne jamais laisser admirer les changements de nuance du noir de leur dos. Frustrant ! Il y a l'espace des passereaux, dans les buissons, à ras de terre, aux abords de la mangeoire l'hiver. Il y a l'espace des corbeaux, bien plus haut, bien plus grand. Il y a l'improbable, ce faucon qui tournicote au-dessus de ma tête et me rend incertaine de ne pas être un lapin, après tout ! Les corbeaux en vol ont un air fatigué de ceux qui rentrent du boulot, on peut les comprendre. Mais un rapace, c'est un tel défi à bien des lois que c'est tout autre chose, de très étranger à notre monde. Et puis il y a l'espace des hirondelles, celui qu'elle matérialise avec les pleins et les déliés de leurs tracés dans l'air qui devient palpable, que l'on sent friser sous les ailes qui nous poussent à les regarder voler.

Depuis, ma fille a grandi, une autre fille est née, a grandi elle aussi, et je ne m'occupe plus de ce jardin qui est presque retourné à l'état de friche puisqu'il a été dévasté pour la construction d'une villa avoisinante. Mais chaque fois que j'entends le chant d'un passereau à l'improviste, tout revient. Et plus. Je me dis que c'est un nouveau printemps, que j'ai traversé une année de plus, et je me sens à nouveau en équilibre entre passé et projets personnels et inscrite dans un temps qui continuera sans moi, avec d'autres oiseaux. C'est bien.

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2 commentaires:

Anonymous Anonyme a dit...

ben ça me plait beaucup et j'y retrouve beaucoup de sensations! merci m'dame!

9 avril 2007 à 19:22  
Anonymous Anonyme a dit...

Quelle poésie ! Merci pour cette pause avant la tempête...

11 avril 2007 à 10:46  

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